Où est Harpo ?

En imaginant une aventure française d'Harpo, le plus taiseux des Marx Brothers, Fabio Viscogliosi continue à sonder le puits sans fond de la mémoire, à la fois matrice identitaire et boussole du destin.


Jusqu'ici l'œuvre littéraire de Fabio Viscogliosi avait infusé une matière autobiographique : éclats de vie, images d'enfance, souvenirs dispersés sur les pages par un écrivain du fragment. Pour la première fois, avec Harpo,  l'auteur-dessinateur-musicien-chanteur semble dévier l'objectif.

Ce pourrait être un bouleversement s'il n'avait toujours investi ses passages même les plus intimes de modèles et mentors, d'épiphanies esthétiques éclairant auto-analyse et confessions mouchetées. Tout cela, chez Fabio, est un peu mélangé. Parce que flux de pensée, inconscient déplié, satoris mnémoniques et expériences vécues ne voyagent pas en compartiments. « Ce qui est autobiographique, c'est de parler des autres » résumait l'auteur dans un entretien sur francetvinfo.fr.

Alors quand il nous livre une histoire, apocryphe, d'Harpo Marx, déjà croisé jadis dans ses pages, on ne finit pas dans le décor. Harpo si, dont l'escapade française en Torpédo bleue, au retour d'une tournée... en URSS fin 1933, se termine en vrac dans quelque fossé ardéchois. Sauf mais amnésique, le voilà errant tel le clochard céleste, recueilli en Haute-Loire par un écrivain (tiens donc), hébergé à Lyon, aidé par un journaliste que cet épisode romanesque exale – camouflant à peine l'auteur lui-même.

Frère effacé

De l'autre côté de l'océan, les frères Marx, sans nouvelles, dépêchent un "Pinkerton" – limier fumiste mais sacrément veinard – pour retrouver leur aiguille de frangin dans la meule de foin française. Mais allez donc retrouver celui qui ignore s'être perdu. Car Harpo, le cadet effacé, qui a « toujours pris les choses comme elles arrivaient » fait dans l'amnésie l'expérience extrême de ce mantra. Pouvait-il rêver mieux que ce présent perpétuel ; cette opportunité de se remplir, lui, l'éponge-née ; cet espace à arpenter, carte IGN et territoire mental ?

Au fond ce que creuse avec subtilité le voyage d'Harpo c'est l'éternel sillon viscogliosien : le mystère de la mémoire et comment elle nous fonde, au présent et au-delà. Si amnésique on n'est plus personne c'est donc bien que nous ne sommes que l'empilement de nos souvenirs. Irrésolvable puzzle aux pièces toujours plus nombreuses qu'une vie ne suffit pas à reconstituer pour dresser notre auto-portrait, au final un peu flou, impressionniste.

L'amnésie, donc, comme page blanche, vacance de soi, parenthèse à réenchanter en partant de rien, l'esprit vierge mais plein de l'innocence des premiers temps. Voilà en Harpo, Fabio, son presque frère.

Fabio Viscogliosi,  Harpo (Actes Sud)
À la librairie Passages le jeudi 30 janvier


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