De l'écran aux planches


Longtemps Shakespeare a fait les beaux jours d'Orson Welles et Elia Kazan fit un Tramway nommé désir plus fort que bien des adaptations scéniques. D'où vient que ces dernières années, la matière filmique — ou plus exactement scénaristique — se répand dans les salles de théâtre ? La puissance des films adaptés intrigue les metteurs en scène qui cherchent souvent un récit choral fort. Ainsi Julie Deliquet, après Fanny et Alexandre, a-t-elle sondé l'âme de la famille Vuillard qui n'a rien à envier aux héros shakespeariens. En ce mois de janvier, Maud Lefebvre qui a pour habitude de travailler des textes originaux avec le Collectif X, a adapté Une femme sous influence.

« Ma pièce n'a rien à dire sur Cassavetes,  disait-elle. Il ne s'agit pas de faire un discours sur son œuvre mais de l'interpréter comme on le fait d'une partition musicale ». Et c'est précisément ce qui se déploie dans un dispositif en bi-frontal avec allers et venues d'éléments de décor sur plateau roulant. Le film est trop respecté — des coupes, notamment de la très fugace scène de travaux des chantiers, auraient pu être opérées — mais cette adaptation est une formidable mécanique de jeu portée par des acteurs principaux épatants, qui permet à la jeune metteuse en scène de creuser son sillon : c'est cinématographique, touffu et ambitieux comme l'était déjà Cannibale.

Même constat chez Cyril Teste qui n'a pas dissout son ADN dans le long-métrage qu'il décortique (son Festen est très chic mais aussi remuant par l'utilisation pertinente de son procédé de performance filmique). Christiane Jatahy dans La Règle du Jeu à la Comédie Française a livré une version trop extravagante mais a su jouer, comme dans ses Tchekhov, du dedans et du dehors, extrapolant le plateau comme Teste.

Même volonté chez Ivo van Hove dans Les Damnés,  donné dans la Cour d'honneur du Palais des Papes en 2016 où la vidéo occupait une large place. En revanche, bien sûr que la transposition au plateau ne garantit pas une bonne pièce. En adaptant un film très conventionnel de Truffaut, Le Dernier Métro, Dorian Rossel en a tiré un théâtre très fade.

Au moins, Christian Hecq et Valérie Lesort n'ont-il pas adapté La Mouche de Cronenberg mais la nouvelle de George Langelaan qui a inspiré le cinéaste. Ce travail est à voir en même temps qu'Un conte de Noël, au Théâtre des Célestins (du 5 au 9 février). S'il est impeccablement interprété et que son aspect inquiétant est finement transcrit à la scène, la première heure verse allégrement dans la lourdeur.


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Nuits sonores, année de transition