Beauté volée

Révélation indie-pop 2019 avec les acclamés UFOF et Two Hands, Big Thief s'avance comme un ovni au charme trouble et bancal. À découvrir d'urgence sur la scène de l'Épicerie Moderne.


On sait combien l'exercice du classement de fin d'année est convenu, aléatoire et souvent pénible. Drapé dans sa noblesse et son plus bel air de ne pas y toucher, l'amateur de musique s'y adonne pourtant volontiers car le goût des listes – (re)lire le High Fidelity de Nick Hornby pour s'en convaincre – est pour ainsi dire constitutif du pop cultureux.

Il faut parfois reconnaître que ces classements dessinent des tendances fortes, font émerger comme par réaction chimique des évidences remontées à la surface. En les épluchant nonchalamment – juste comme ça, pour voir, hein, et aussi un peu pour se comparer –, on ne cessait d'y buter sur un nom : Big Thief, invariablement cité, parfois au titre d'un disque baptisé Two Hands, d'autres fois pour un certain UFOF. Souvent les deux.

On découvrait alors un groupe qui venait de publier deux des dix meilleurs albums de l'année. "Découvrait" car on était passé à côté de leurs deux premiers LP, le déjà bien nommé Masterpiece (2016) – où trônent des pépites de grâce dissonnante indie-folk lo-filisée – et Capacity (2017) tout aussi rèche et vibrant.

Not

Le choc était aussi rude que délicieux car la petite troupe menée par Adrianne Lenker (genre de Hope Sandoval diurne) a de l'or plein les doigts. Sortis à six mois d'intervalle, UFOF et Two Hands, issus de la même session d'écriture, sont ainsi couronnés d'atmosphères radicalement différentes.

Le premier enregistré dans le Washington se veut pastoral et cotonneux, le second, mis en boîte dans l'aride El Paso (Texas), est plus sec, chauffé à blanc, mal élevé, chassant de biais les avanies de l'actualité (violences policières, sur Shoulders, armes à feu sur Toy, oubliés du libéralisme sur Forgotten Eyes).

Et au milieu, un trésor hypnotique et malaisant, dont le titre claque comme une porte dans la figure ou sur un doigt, Not, qui dessine en creux les contours du monde en une litanie de négations qu'emporte dans une spirale infernale une guitare en surtension. Une merveille malade qui justifie de se pencher sur une œuvre au dénuement sophistiqué, toujours sur la ligne de crête, qui vous kidnappe durablement. Et réhabilite ces satanés Top 10 de fin d'année.


Big Thief à l'Epicerie Moderne le lundi 24 février

 

 


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