« La politique est une lessiveuse »

Antoine Demor et Victor Rossi jouent Le prix de l'ascension tous les samedis à l'Odéon. Ils abordent avec beaucoup d'humour, de lucidité et de précision le parcours de deux politiciens, les coulisses du pouvoir et son ivresse.


En quelques mots, comment résumer ce spectacle ?
Antoine Demor & Victor Rossi : La volonté de montrer ce qui se passe, dans le monde politique, une fois la caméra éteinte. Tout ce qui se passe de l'autre côté du rideau : la réalité des échanges et des stratégies. Et surtout, la place de l'humain dans tout ça ! Quelles concessions sommes-nous prêts à faire pour accéder aux plus hautes marches du pouvoir ?
Paradoxalement, on a voulu quelque part ré-humaniser l'Homme de pouvoir. Face caméra, il est impeccable. Derrière, il y a des moments de doute, d'excès de confiance. Il y a un peu de tout ça dans la pièce. On suit les personnages sur vingt ans, de l'école jusqu'aux lieux de pouvoir.

Comment ce spectacle a-t-il été construit ? Quel a été votre travail de documentation ? Vos inspirations ?
On a fait tout un travail d'entretiens avec des attachés parlementaires, des élus, des énarques, des conseillers … On a ensuite approfondi notre documentation. On a ressorti nos cours de droit et de sciences po. On a beaucoup relu le parcours de chacun des personnages pour s'assurer que cela puisse être vraisemblable : que c'est bien par ces biais-là, qu'on peut accéder à tel endroit. On a pris des sociologies différentes. C'est une fiction mais c'est du théâtre très documenté, avec beaucoup d'effets de réels à l'intérieur.

Depuis votre première date en 2016, le spectacle a-t-il évolué ?
Notre spectacle a débuté en novembre 2016, il avait très bien marché à Lyon pendant la Présidentielle, on était à l'époque à Gerson. On était dans une forme beaucoup plus café-théâtre : un spectacle à sketchs. Après ç'a été une période plus calme : certaines salles avaient du mal à se positionner vis-à-vis de ce spectacle. Aujourd'hui, on a retravaillé toute la mise en scène avec Julien Poncet, ce qui nous a permis de rendre cette nouvelle version plus fluide et plus intense. Un jeu peut-être plus cinématographique. Et on est reprogrammé jusqu'au 20 juin à l'Odéon, avec des dates de tournée au milieu.

Depuis l'affaire Griveaux, votre pièce comique s'est-elle transformée en tragédie grecque ?
Notre histoire, notre trame narrative, n'a pas changé depuis 2016. Et du coup, on s'est fait rattraper par Pénélope, par Griveaux, et de multiples fois par l'actu politique. On n'a rien inventé avec la pièce. La politique est une lessiveuse : des choses reviennent et repartent. Nous, on a fait que mettre ça dans une pièce.

Quelle a été votre réaction suite à cette affaire justement ?
Quand ça a eu lieu, on s'est réunis tous les trois avec Julien Poncet, et on s'est dit : est-ce qu'on change la fin ? La réponse était : non. On voulait éviter que les gens se disent : « ils réécrivent à la volée, pour coller à l'actu. » On veut éviter, mais ça nous rattrape.

Ce n'est peut-être pas l'objectif, mais votre spectacle, selon-vous, sert-il la politique ou plutôt le discours du "tous pourris" ?
Non je n'espère pas. On a fait un travail de nuances, ce qui a été relevé par les retours qu'on a pu avoir des gens qui gravitaient dans le monde politique. C'est parfois même en dessous de la réalité. On a surtout montré la nuance entre le national et le local : la difficulté à être un élu local, ses moyens d'actions au milieu du mille feuille administratif par exemple.  

Un mot pour finir concernant les Municipales ?  
On sent, souvent à l'approche des élections, une certaine frilosité de la part de quelques élus à accueillir notre spectacle. On a eu des dates annulées par certains qui reprennent la main sur les programmations. Ce sont d'ailleurs souvent des élus qui n'ont même pas vu la pièce. On joue dans une période sensible, avec une matière sensible et un habillage sensible. Il faut bien comprendre que la politique n'est qu'un décorum dans ce spectacle, on pourrait remplacer ça par les dynamiques de pouvoir dans les entreprises, ce serait pareil.


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James Sacré, poète approximatif