Ego plus ego égale imbroglio : "Cyril contre Goliath"

Il était une fois un vieux crocodile du textile, Pierre Cardin, qui voulait croquer Lacoste — pas la marque, le village du Luberon. Un presque jeune loup de la communication s'interposa avec sa caméra. Qui croyez-vous qui gagna ? Pas forcément le cinéma.


Ulcéré que le couturier Pierre Cardin ait entrepris de s'accaparer l'ensemble du patrimoine immobilier du village de Lacoste, l'homme de communication Cyril Montana part en croisade pour dénoncer ce caprice de vieil oligarque et tenter de sauver le village de son enfance…

On peut reprocher à Michael Moore pas mal de choses. De s'être complu avec le temps dans une forme systématique de subjectivité sarcastique visant à distraire et conforter les membres de son camp sans ébranler ceux d'en face — en somme, d'avoir transformé en rente l'étincelle de Roger et moi. Et, surtout, d'avoir lancé l'ère du documentaire engagé gonzoïde, où le cinéaste fait de sa caméra à la fois une arme et l'instrument relatant sa propre geste chevaleresque. Lorsque le combat est épique et disproportionné, donquichottesque, le résultat donne parfois des résultats stupéfiants. Souvenons-nous de l'odyssée au cœur de la malbouffe de Morgan Spurlock (Supersize Me) ou de la bataille menée par François Ruffin contre l'empire Bernard Arnault (Merci Patron !) : si les réalisateurs accouchaient de films aussi efficaces socialement que cinématographiquement, c'est peut-être parce qu'ils s'emparaient de sujets avec lesquels ils étaient en sympathie, mais étrangers à leur propre existence, conjuguant subtilement implication et distanciation.

So Sade…

Avec Cyril Montana, les jeux sont faussés dès le départ. S'il proclame sa qualité “d'enfant de Lacoste“ d'emblée pour légitimer par son ancrage intime sa révolte de voir Pierre Cardin statufier le village et le vider de ses âmes, l'objet réel de son film se dilue rapidement. Commençant comme un portrait de la longue tradition culturelle et artistique de Lacoste, ignorée voire méprisée par le couturier nonagénaire, ainsi qu'une charge contre les privilèges éhontés que l'argent procure, le documentaire s'enlise dans une auto-analyse de bourgeois quinquagénaire parisien meublant son désœuvrement (et fier de prouver à sa progéniture qu'il porte encore une fibre rebelle) dans une quête “juste“ pleine d'idéalisme sauvage et de fleurs des champs. Tout y passe, de la purification en forme de chemin de Compostelle de Paris à Lacoste aux lapins posés par les villageois (plutôt indifférents aux gesticulations d'un narcisse de plus sur leur sol) ou par celui du fuyant neveu de Pierre Cardin. Jouant volontiers les naïfs au fil du récit, Montana nous fait croire à sa toute fin que touché, par la grâce et la perspective de faire prospérer l'économie solidaire et sociale locale, Cardin aurait renoncé à sa marotte. Un vœu pieux, le couturier ayant initialement jeté son dévolu sur Lacoste pour acquérir le château le surplombant : la résidence du Marquis de Sade.

Malgré la référence emphatique portée par le titre, Cyril n'a donc pas grand chose en commun avec le pauvre berger biblique qui défit le géant Goliath et finit couronné roi d'Israël en récompense de son acte héroïque. Ici, Goliath-Cardin, sa morgue et son fric triomphent sans même avoir à batailler contre la fronde médiatique de ce Cyril-David. Mais bon : c'était cousu de fil blanc…

Cyril contre Goliath
Un documentaire de Thomas Bornot & Cyril Montana (Fr, 1h26) avec Cyril Montana, Grégoire Montana, Pierre Cardin…

Au Comœdia en e-cinéma via La 25 Heure le dimanche 17 mai à 18h (5€ la séance)


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