« Un temps autre s'est ouvert »

Camille de Toledo, écrivain et chercheur, repense sa résidence croisée initiée à Lyon en un rendez-vous de conversations à distance, chaque mardi. Toujours sous l'égide de l'École Urbaine de Lyon, la Fête du Livre de Bron et l'European Lab. Il nous explique.


Vous remodelez votre cycle de résidence et de rencontres à Lyon en une forme nouvelle, des conversations nocturnes chaque dimanche soir : pouvez-vous nous présenter ce concept et comment il va se dérouler ?
Camille de Toledo : Je crois ardemment aux vertus d'une conversation croisée entre les arts et les sciences humaines, entre une poétique et une politique, entre thérapeutique et savoir. C'est à cette intersection que nous avons lancé avec l'École Urbaine de Lyon, la Fête du Livre de Bron et l'European Lab, en janvier dernier, le cycle "Enquêter, enquêter, mais pour élucider quel crime ?". Nous vivons aujourd'hui à l'heure d'une très vaste révélation d'un "crime terrestre", ce qu'on nomme également en droit un écocide, même si la notion n'est pas encore, hélas, reconnue pénalement. Quand nos affaires humaines, à l'échelle planétaire, ont été interrompues par cet "inframince" qu'est le virus, un temps autre s'est ouvert. "À quoi pensez-vous ?", ce cycle de conversations à distance est la réponse que nous offrons à cet autre temps. 

Quel casting pour vos invités et invitées successifs ? Du chamane Denis Cellier à Emmanuel Alloa, le champ traité est vaste. Que visez-vous ? Pouvez-vous nous présenter les convives ?
Dans l'esprit des différentes institutions engagées dans ces conversations, je crois qu'il y a ce désir de ré-attacher, par mon biais, la littérature avec les savoirs. Je suis un écrivain-chercheur. J'ai travaillé ces cinq dernières années sur la notion de "vertige", qui pose la question de nos liens au monde. À quoi tenons-nous ? Comment sommes-nous reliés à la Terre ? Nous autres, sapiens, nous sommes reliés au monde par des langages, des codes, des paroles, des histoires, des fictions, des architectures, des pensées. J'espère qu'avec mes différents invités et invitées, nous creuserons cette question : « à quoi on tient ? ». Et si, aujourd'hui, nous vivons de plus en plus séparés des autres formes de vie, comment changer, dès lors, nos langages, nos savoirs, nos fictions, pour nous relier au monde ? 

Vous verrez que l'on retrouve cette inquiétude des attaches, des liens, dans les diverses conversations. Le rapport entre textes et formes animales (avec Anne Simon), entre la pensée et le corps et les éléments du monde (avec Denis Cellier), entre l'architecture, l'espace et les ordres sociaux (avec Sébastien Thiery)… À chaque fois, je m'efforcerai de porter cette parole, depuis l'inquiétude de nos habitations.
 
Et vous, à quoi pensez-vous ces derniers jours ? Qu'est-ce qui traverse votre âme ?
Les dernières années pour moi ont été une épreuve. J'ai fait l'expérience d'une quasi mort dans la vie. C'était une mort lente, une paralysie qui s'imposait au corps. Mon travail sur le vertige est parti de là. Je ne tenais plus, tout s'effondrait en moi, y compris la psyché qui était entrainée dans cette chute. Il y a un livre à paraître qui accompagne le cycle sur l'enquête et qui tente de rendre compte de cette traversée de la nuit, qui a pour titre Thésée, sa vie nouvelle. Il sortira en septembre aux éditions Verdier. Et en ce moment, en plus de préparer mes conversations, je mets une touche finale à un essai justement sur les formes de l'habitation humaine, sur les fictions qui nous tiennent au monde. Enfin, depuis l'automne 2019, en parallèle du cycle lyonnais, je coordonne les travaux du « parlement de Loire », qui travaille à une reconnaissance juridique des éléments de la nature.
 
Camille de Toledo présente À quoi pensez-vous ?
Podcast disponible chaque mardi sur ecoleurbainedelyon.universite-lyon.fr ou www.fetedulivredebron.com

Programme

16 juin : Sébastien Thierry 
Politiste et maître assistant associé à l'École nationale supérieure d'architecture de Paris Malaquais. En 2012, il fonde avec le paysagiste Gilles Clément le P.E.R.O.U. – Pôle d'Exploration des Ressources Urbaines – laboratoire de recherche-action sur la ville hostile « conçu pour faire s'articuler action sociale et action architecturale ». 

23 juin : Marie Cosnay 
Professeure de lettres classiques, traductrice de textes antiques et écrivaine. Elle a reçu le Prix Nelly Sachs et le Prix Bernard Hoepffner pour sa traduction remarquée des Métamorphoses d'Ovide (Ogre, 2017). Elle est également activiste en faveur de l'accueil des migrants, thème qu'elle aborde dans un blog qu'elle tient régulièrement sur Mediapart

30 juin : Denis Cellier
Chamane, thérapeute, Denis Cellier a étudié l'ostéopathie avant de s'ouvrir aux différents savoirs des médecines traditionnelles. Il a suivi les enseignements de François Roustang sur l'hypnose, les chemins initiatiques de Carlos Castaneda. Sa pratique thérapeutique s'appuie sur les capacités d'auto-guérison du corps, en liaison avec des techniques classiques de méditation.   

7 juillet : Fredérique Aït-Touati
Chargée de recherche au CNRS et membre du Centre de recherches sur les arts et le langage (EHESS), Frédérique Aït-Touati est historienne de la littérature et des sciences modernes, spécialiste du XVIIe siècle, et également metteure en scène de théâtre. Ses travaux académiques portent sur les rapports entre littérature, arts et savoirs. 

14 juillet : Emmanuel Alloa
Professeur ordinaire en esthétique et philosophie de l'art à l'Université de Fribourg. Il dirige la collection Perceptions et co-dirige la collection Médias/Théories aux Presses du Réel. Ses recherches portent notamment sur l'esthétique et la théorie du visuel, la phénoménologie française et allemande, la philosophie sociale, la théorie des médias et l'histoire des techniques. 


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