Silence, hôpital


« Le récit non réaliste en poèmes d'une expérience réduite et partielle de quelques années, mes premières années d'infirmier.» Ainsi Sammy Sapin dévoile-t-il le programme de J'essaie de tuer personne.

Après avoir œuvré sous diverses formes du côté de la science-fiction, il nous entraîne dans des aventures bien plus périlleuses, celles de la réalité. En milieu hospitalier. Cette réalité qui reste pour chacun de nous de la science-fiction justement.

Ce qui frappe d'emblée c'est la forme, à l'os, de l'écriture, cette "poésie documentaire". Qui nous rappelle que la poésie peut (encore) prendre aux tripes et vous les retourner. Et que les muses peuvent porter des blouses ou des sondes urinaires.

Les choses commencent par un examen, celui d'infirmier qui ouvre le droit d'aller se cogner à la détresse physique des autres, d'apprendre sur le tas, « d'éponger des anus artificiels », de chasser des veines farouches ou détruites, de « dire bonne nuit doucement et se fondre dans l'obscurité », « de se sentir comme cousu dans la peau d'un patient », de faire ça « pour la gloire », faute de mieux. Le tout pour un salaire qui permettra « dans cent quatre-vingt-quatre ans » d'acheter « une toute petite villa sur l'île de Ré ».

En 72 fragments, 72 instantanés, comme autant de tentatives réussies de piquer une veine, Sammy Sapin, en quelques mots à nous téléporter dans la vie de ceux que le cynisme appelle « héros en blouses blanches » avant de rabattre le tapis sur leurs problèmes, leur solidarité et leur solitude.

Une toute petite partie, car, prévient l'écrivain-infirmer en ouverture : « il y a certaines choses qui ne sont pas dans ce livre, certaines choses dont je n'ai pas pu parler car ça m'était impossible ». Car sous les textes, sous les revendications, derrière les images à la télé, il y a tout ce qui n'est pas vu, toute ce qui ne peut pas être dit, qu'on couvre avec des applaudissements, parce que personne ne veut l'entendre.

Sammy Sapin, J'essaie de tuer personne (Éd. Le Clos Jouve)


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