Grand Prix : Benji, roi du circuit

Pour son 9e album, Benjamin Biolay livre son disque le plus rock en célébrant les princes de la piste automobile. Un Grand Prix joué à toute allure qui dans le sillage de tubes trompe-la-mort dévoile pourtant les traces d'une œuvre parmi les plus personnelles d'un Biolay rentré au stand pour un premier bilan.


En 19 ans d'une carrière pour le moins pléthorique, Benjamin Biolay a, quoi qu'on en pense, fait plus que la preuve de son habileté musicale. Paradoxe, on ne lui a jamais connu de véritable tube. Le Caladois, que n'effraie aucun mélange des genres pas plus que les flirts les plus poussés avec la variété, s'en est certes parfois approché d'assez près : Les Cerfs volants, Une Chaise à Tokyo, L'Histoire d'un garçon, Qu'est-ce que ça peut faire ?, La Superbe (tube qui sans doute s'ignorait mais peut-être à ce jour sa plus grande chanson).

Mais, toujours, quelque chose venait empêcher la transformation totale de l'essai — sans doute à trouver dans une tendance à complexifier les contours d'une évidente facilité mélodique et d'un don certain pour l'écriture (exemple symptomatique : Brandt Rhapsodie, talk-over en duo avec Jeanne Cherhal). Parfois, ses tentatives de trop embrasser la chanson qui tue pouvait menacer de basculer — tel Murat quand il laisse son Surmoi à la porte du studio — dans le ridicule à force de trop en faire (Dans la Merco Benz, Aime mon amour).

De la Merco à la F3

Il semblerait cette fois, après ses détours par Palermo Hollywood et le Buenos Aires de Volver, que Biolay ait trouvé la formule — l'a-t-il seulement cherchée ? c'est une autre affaire) — qui déshabille le tube à essai au profit du tube tout court. Il n'a pas fallu attendre la sortie toute fraîche de Grand Prix, le neuvième album de Biolay, pour s'en rendre compte. Le single qui l'a précédé Comment est ta peine ? a fait le boulot en éclaireur — basse ronde et funky comme épine dorsale, rythmique saccadée, mélodie imparable, claviers et arpèges cristallins montés au front et violons en soutien — en donnant une idée assez précise de ce à quoi on allait à voir affaire : l'album le plus rock de BB.

Les amateurs d'indie-rock auront peut-être perçu dans ce titre un clin d'œil, en même temps qu'au film de John Frankenheimer (1966) à l'album éponyme du quatuor écossais Teenage Fanclub (1995). Mais si, comme sur la pochette du TFC, Biolay fait figurer un engin de course (une F3 jadis pilotée par Jean-PIerre Beltoise derrière laquelle court un type en flammes), il faut surtout y voir, si ce n'est un concept album qui se referme sur lui-même comme un circuit automobile (Interlagos, en l'occurence), un hommage aux héros casqués des lignes droites empruntées à 300 km/h au risque de s'emplafonner le destin dans une glissière. Plus précisément au jeune Jules Bianchi, dernier martyr en date des pilotes morts au combat.

Fureur de vivre

Pour le reste, et pour la première fois, Biolay semble en effet enfin assumer ses influences indé anglo-saxonnes, des Smiths à New Order (tout cela se joue toujours au nord de l'Angleterre). Et de Visage pâle et ses synthés tortueux à Idéogrammes et ses guitares mi-rentre-dans-lard, mi-carillon, en passant par les très Madchester Comme une voiture voilée (imparable) et Virtual Safety Car, Biolay fait étalage de ses références autant que de ses dispositions (oui, ce type sait piloter, c'est énervant mais c'est comme ça).

Le rapport entre la F1 et le rock ? Une certaine fureur de vivre avec la mort penchée sur l'épaule et que l'amour transcende. Car au fond, derrière le concept et les embardées esthétiques, une fois le casque enlevé et la carrosserie mise à nue, il reste un Benjamin qui livre, de son propre aveu, l'un de ses disque les plus intimes, empruntant un à un et comme en marche arrière les virages d'une vie défilant à rebours dans le rétro, le drapeau à damier en guise de bilan pas très reluisant (Ma route, où il ferait presque son Morrissey, Où est passée la tendresse ?, La roue tourne).

C'est un homme qui approche doucement la cinquantaine en courant à toute allure après sa jeunesse que l'on retrouve sur Grand Prix, à qui le temps qui a filé ou s'envole comme un Papillon Noir, ne permet plus toutes les fantaisies (croiser une fille trop jeune pour soi et cette fois passer son chemin) ni même des excès contre lesquels la témérité, avec l'âge, ne protège plus. Reste donc la jeunesse éternelle que seule on trouve dans le rock et l'éternité du tube qui résonne bien après la dernière note, comme le fracas de la dernière sortie de route.

Benjamin Biolay,  Grand Prix (Polydor)


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