Wauquiez et la culture : c'est compliqué (bis)

Laurent Wauquiez est passé à deux doigts de se remettre l'ensemble du monde culturel à dos. Il est retombé lundi, à peu près, sur ses pattes. Mais comment a-t-il fait pour glisser ainsi sur une peau de banane, après des semaines de mesures concrètes et de com' massive pour s'instaurer en "sauveur" du milieu culturel post-Covid ? On vous raconte.


Dès le début du confinement, la vice-présidente à la Culture Florence Verney-Carron capte l'ampleur de la crise à venir dans son secteur et mobilise ses services. Son président joue le jeu et la com' se met en branle : étonnement dans les milieux culturels, mais c'est bel et bien la Région qui s'affirme comme moteur de l'aide au secteur — avec une communication au cordeau, comme tout au long de la crise. Début mai, Laurent Wauquiez annonce 32 M€ d'aides au secteur culturel. Une élue de gauche nous confie alors : « ça me fait mal de le dire, mais faut avouer qu'ils font le boulot. » C'est d'autant plus flagrant que l'État est alors à la ramasse sur le sujet. Tout n'est pas parfait, certains producteurs pointent la faiblesse du montant maximum de l'aide, mais d'autres lieux non subventionnés apprécient a contrario l'aide exceptionnelle. Surtout, personne n'attendait Laurent Wauquiez sur ce terrain. 

Et patatras. En pleine déprime générale après des mois de fermeture pour certains lieux, sans débat contradictoire, sans assemblée plénière, ni réunion de la commission culture, de très nombreuses associations culturelles ont reçu le 15 juillet un courrier émanant de la Région Auvergne-Rhône-Alpes (que nous nous sommes procuré) stipulant que 60% de leurs subventions prévues seraient versées comme prévues.... Mais que pour le reste, désormais,  « le bénéficiaire devait justifier de dépenses à hauteur du montant du forfait ». Soit, fournir la preuve d'une activité et de dépenses que plus personne n'a pour cause de crise. Stupeur, inquiétude, colère : chacun réagit à sa façon. Le directeur d'un des plus gros festivals du coin nous lâche dépité : « au point où on en est... » L'incompréhension règne, d'autant qu'aucune explication n'est alors apportée.

Peur

Le metteur en scène Emmanuel Meirieu s'insurge fin juillet : « les 40% restants ne seront jamais versés, ce n'est pas vrai car il faudra fournir un nouveau budget prévisionnel. Le fait est que je touche aujourd'hui 12 000€ sur les 20 0000€ prévus. Le reste, c'est de l'enrobage politique. » La peur pour beaucoup est que la Région parte ensuite sur cette base de 60% pour les conventions futures. 

Même constat pour une compagnie de danse grenobloise sidérée par ce courrier : « c'est hallucinant. Pendant le confinement, nous avons eu des réunions avec la DRAC et la Région qui nous ont assuré du bon fonctionnement. Nous n'étions pas inquiets. Jamais nous n'imaginions que  les montants annuels de conventionnement sur trois ans soient remis en cause ». Dans un collectif isérois, c'est la stupeur aussi : « c'est inquiétant car en avril ce n'était pas du tout le discours officiel.»

Cela survient à un moment particulièrement difficile, les compagnies ont soutenu les artistes et ont payé des prestations annulées : « nous avons eu beaucoup de dépenses et pas de rentrée de liquidité » dit encore la compagnie grenobloise de danse qui comprend cependant ce contrôle : « si nous n'avons pas salarié des gens durant trois mois et que l'on a fait des économies, c'est normal que les financements baissent, ce n'est pas un problème, mais la Région aurait dû honorer les subventions et demander ensuite des comptes comme cela se fait habituellement ».

Riposte

La riposte s'organise — au sein de la Plateforme qui regroupe des syndicats du spectacles vivants en Auvergne-Rhône-Alpes (Syndeac, Grand Bureau, Synavi, Fevis, Sma, Prodiss, Fédération des Arts de la Rue...). Une représentante d'une des organisations pointe leur stupeur commune devant la nécessité de renvoyer à la Région, avant le 24 août, un dossier financier concernant  le budget réalisé 2019, le budget prévisionnel 2020 et un budget prévisionnel actualisé Covid.

Un courrier commun est alors envoyé en août à la Région, signé par 70 structures culturelles. Dans la foulée, Rue89Lyon publie en exclu un article exposant la situation et l'incompréhension du milieu culturel, et tente en vain d'interroger Laurent Wauquiez. Qui annonce dans la foulée une conférence de presse pour lundi 7 septembre, lors de laquelle le président vient parler culture face aux journalistes mais aussi à plusieurs acteurs culturels. Et il l'affirme : non, en fait, il n'a jamais été question de couper les subventions, bien au contraire. Et de détailler toutes les mesures prises, d'annoncer le vote le 17 septembre prochain de 6M€ de subvention à destination de la culture dont 228 000€ pour la valorisation du patrimoine, 361 000€ pour les arts plastiques,  722 000€ pour les festivals, 4, 7M€ pour le spectacle vivant. Et le paiement intégral des subventions menacées. 

Florence Verney-Carron nous l'a confirmé dans la foulée : « aucune coupe ne sera effectuée dans les subventions des associations, dont certaines touchent en plus le fonds d'urgence, et tout sera voté le 17 septembre. Le budget de la culture à la Région est passé cette année à 75M€, soit une augmentation de 20% ! Les acteurs culturels, dont Emmanuel Meirieu, étaient là lors de la conférence de presse, ils ont pu dialoguer avec le président. Ils ont exprimé leur inquiétude. Mais nous sommes des gestionnaires attentifs et les informations demandées nous ont été fournies, Laurent Wauquiez a alors tranché en faveur de mes propositions. On a compris l'inquiétude. » La vice-présidente concède un défaut d'explication, une incompréhension, mais semble avoir encore une fois dû s'employer pour éviter l'incendie. 

Erreur de com', contrôle parfaitement justifié ou coup politique pour que le milieu associatif se tienne sage : les versions divergent, la campagne électorale qui s'approche nous en dira sans doute plus... 


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