Nathalie Perrin-Gilbert : « les journalistes, les universitaires, les artistes sont les premiers menacés »

Lyon, ville refuge pour les artistes et intellectuels menacés dans leurs pays : c'est le projet acté par Nathalie Perrin-Gilbert et Grégory Doucet, qui vont faire de notre cité un membre du réseau international ICORN dans les prochaines semaines. Explications.


Vous avez pour projet de faire de Lyon une ville accueillant les artistes réfugiés en danger dans leur pays. Pouvez-nous nous expliquer en quoi ça consiste ?
Nathalie Perrin-Gilbert : La Ville de Lyon va rejoindre le réseau ICORN, un réseau de villes refuges, prévu notamment pour les demandeurs d'asile, mais pas que. C'est un réseau anglo-saxon au départ, très actif pour la protection des artistes dans le monde. En France, seules Paris et Poitiers font partie de ce réseau. Avec le maire de Lyon, avec l'adjointe en charge des Relations Internationales Sonia Zdorovtzoff et moi-même, on a décidé de rejoindre ce réseau. 

Barcelone, par exemple, en fait partie : lors de mon voyage dans cette ville, j'avais rencontré la maire Ada Colau, et ce qui m'avait intéressé dans sa politique, c'était sa capacité à affirmer des valeurs et à mettre en adéquation valeurs et actes. Et sur ce sujet de l'accueil, elle l'a fait très vite. En tant qu'adjointe à la Culture, l'accueil des artistes menacés me concerne tout particulièrement. Ça rejoint un autre de mes combats anciens, celui pour les droits fondamentaux et les libertés. C'est l'occasion de réunir ces deux actes de militantisme.

Quand j'étais maire du 1er, j'avais accueilli la journaliste qui avait dénoncé les tortures et les massacres des personnes homosexuelles en Tchétchénie, j'avais reçu pas mal d'opposants au régime de Poutine qui défendent les droits de l'Homme en Russie, et j'avais bien vu combien les journalistes, les universitaires, les artistes sont les premiers menacés. On avait aussi accueilli un photographe-reporter syrien. La Turquie, aussi : j'avais fait Pinar Selek citoyenne d'honneur du 1er arrondissement en 2015...

C'est un fil rouge de votre engagement politique...
Voilà. Et là, en tant qu'adjointe à la Culture, je le gardais en tête. Au moment du soulèvement en Biélorussie et des arrestations et des fuites des opposants au régime de Alexandre Grigoriévitch Loukachenko, j'avais été interpellée par la situation de la Prix Nobel de Littérature, Svetlana Alexievitch, qui s'est réfugiée en Allemagne récemment, qui était menacée puisque des hommes étaient venus la chercher dans son appartement. Je suis alors rentrée en lien avec l'ambassadeur des Droits de l'Homme au gouvernement, le diplomate François Croquette, en lui demandant si le gouvernement français suivait ce qui se passait en Biélorussie : est-ce qu'il s'intéressait au sort de cette Prix Nobel de Littérature, est-ce que des exfiltrations allaient se faire ? Et je lui ai dit que si à un moment donné ils cherchaient une ville refuge et que l'on trouvait un moyen de loger et de protéger Svetlana Alexievitch, voire de lui proposer une résidence littéraire, je me mettrais sur les rangs. Il se trouve que François Croquette parallèlement rencontrait le maire de Lyon Grégory Doucet peu après, les 1er et 2 octobre...

Avec quelles structures allez-vous créer ce réseau  ?
Nous avons donc dîné le 1er octobre, quand on pouvait encore après 21h, avec notamment Patrick Penot du festival Sens Interdits, mais aussi des représentants de  différents lieux : bien sûr le CHRD, qui doit être inclus dans ce réseau car les musées ne parlent pas que d'Histoire et doivent être actifs dans le présent ; l'Auditorium, car en plus notre nouveau chef d'orchestre est très sensible à ces questions — sa programmation s'en ressent, avec l'idée de cité cosmopolite, d'accueil, d'aller au-delà des frontières —, et la musique est un langage universel qui dépasse les langues ; le Théâtre des Célestins ; le collectif Item, très militant sur ces questions ; les Subsistances seront dans le coup, ils ont déjà une programmation en adéquation ; et la Villa Gillet avec Lucie Campos. Ce que je voulais tester, c'était comment résonnait cette proposition, qu'est-ce que l'on pourrait faire pour accueillir des artistes. Il y a eu un immense enthousiasme et une volonté de dire : nous, on veut en être. Soit par les programmations, soit par des résidences.

Au niveau de la Ville, on doit réfléchir à des solutions d'hébergement qui puissent permettre de vivre ici. Et ensuite, se mettre en lien avec d'autres villes, pour qu'en fonction de nos relations avec telle ou telle partie du monde, les communautés présentes aussi chez chacun, certaines soient plus à même d'accueillir tel opposant parce qu'il y a déjà un réseau de soutien. C'est très rassurant pour nous de se dire que l'on fait partie d'un réseau. Il y a beaucoup de villes dans le nord de l'Europe. Je vais prendre contact  avec Paris et Poitiers rapidement. L'idée sera aussi d'aller voir ensuite Bordeaux, Marseille, pour les intégrer dans ce réseau, ce que j'appelle nos villes amies. Ce sera une manière d'entamer un travail commun.

Est-ce que ça doit aller jusqu'au droit d'asile ?
Oui, tout à fait. Il faut que ça aille jusque-là. Et le lien avec l'État est intéressant : ça ne peut marcher que si on travaille ensemble. Pinar Selek par exemple a obtenu la nationalité française, après avoir obtenu le droit d'asile. Il ne faut pas que ce soit seulement une résidence temporaire et clandestine. Il faut que le droit d'asile aille avec et que les personnes soient entièrement protégées le temps qu'elles sont dans notre pays. Après, toutes ne demanderont pas la nationalité.

Avez-vous déjà identifié des pays où des artistes devraient être protégés par Lyon ?
La Turquie, c'est une évidence. La Russie, également. Mais ça peut aussi être les États-Unis : on va voir comment les choses tournent dans un certain nombre de pays. Ce seront des auteurs et artistes menacés et empêchés dans leur production artistique. On va parler aussi de la Syrie et de certains pays d'Afrique.

C'est prévu pour quand ?
Il y aura une délibération au conseil municipal qui va acter toutes les modalités. Je ne sais pas encore sur quelle période. Mais la décision a été prise : il faut maintenant que ce soit rapide. J'aimerais qu'on le fasse pour janvier 2021. 


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