Studio Hirundo : le monde en "Faces"

Le vendredi 12 mars a paru "Faces" de Studio Hirundo, un album 6 titres disponible sur Soundcloud, Bandcamp et YouTube, réunissant une poignée d'individualités en exil. Un projet porté par un quatuor d'étudiants de Lyon 2 avec le soutien de l'association Singa et du Jack Jack. Une belle initiative qui a su se muer en projet artistique à la découverte à la découverte de voix fortes.


Au commencement est un projet académique dans le cadre du Master développement de projets artistiques et culturels internationaux à Lyon 2. Quatre étudiants tous musiciens et désireux de faire leur trou dans ce milieu autant qu'intéressés par les liens qu'entretiennent le social et l'artistique projettent une idée un peu folle : créer et enregistrer en cinq mois, à partir d'octobre 2020, un album multiculturel qui puisse être un vecteur d'expression et de visibilisation des personnes exilées, musiciens ou pas. Les quatre se rapprochent alors de l'association Singa, « association et mouvement citoyen qui propose des espaces de rencontres et d'échanges avec des personnes nouvellement arrivées et des membres de la société d'accueil », nous détaille Leïla, l'une des quatre étudiantes à la racine du projet. Rapidement, ils deviennent porteurs de projets pour Singa dans l'idée « de se regrouper autour de la musique et des textes et de montrer notre diversité. »

L'association se fait notamment le relais de l'appel à candidature qui voit affluer les participants. Parmi eux, Camara qui accepté de nous parler de sa motivation. Il s'est mis au théâtre et à l'écriture en arrivant en France il y a deux ans et aimerait, pourquoi pas, diffuser plus largement ses poèmes et écrits fictionnels. Il vient de Guinée, ne dira ni pourquoi ni comment, parce que ce n'est pas vraiment le sujet. Le sujet est dans les textes, au nombre de deux, qu'il a fourni pour deux morceaux en spoken word. « On n'a pas cherché à connaître les origines de chacun ou leur histoire, l'idée c'est de communiquer autrement. On se rencontre en tant qu'individualités et on monte des choses ensemble » explique Leïla qui confie ne pas toujours se souvenir d'où viennent untel ou unetelle et peut-être l'avoir oublié sciemment.

Débloquer les pudeurs

À aucun moment, ajoute-telle, le cahier des charges de Studio Hirundo, nom de baptème du projet, ne mentionnait que les œuvres proposées devait traiter du thème de l'immigration et des obstacles qu'elle rencontrent. Il n'empêche que tous les textes en parlent, qu'ils soient le fait d'un poète kosovar, d'un reggaeman guinéen ou de Camara qui livre Noir, une réflexion sur la symbolique profonde de cette couleur qui est aussi la sienne, et Walio Wali, un cri du colère sur la condition de migrant, né du spectacle effarant de l'évacuation de la place de la République par les forces de l'ordre l'automne dernier.

Reste qu'il a tout de même fallu débloquer les réticences et les pudeurs bien légitimes à s'exprimer sans frein et sans garde-fou sur ces sujets sensibles. Même pour Camara qui passe sa vie dans ses cahiers quand il ne lit pas Senghor, Laye ou Racine. Difficile d'« oser aborder quelque chose qu'on n'a jamais osé aborder en public et qu'un sans-papier se retient de dire de peur d'avoir des problèmes, d'être la cible de la police. On a traversé tellement de choses qu'on ne peut pas se permettre de tout gâcher » reconnaît le jeune homme pour qui parler de sa condition reviendrait presque à commettre un délit.

Une crainte que Leïla et ses camarades ont constaté chez chacun des participants, quelque peu lissée toutefois en fonction des caractères de chacun et de leur expérience artistique : « Charles était déjà très à l'aise mais c'était peut-être un peu l'exception. Bliss, on a dû la pousser un peu alors que c'est une chanteuse incroyable, Dan est déjà un poète reconnu dans son pays » Mises en commun, « toutes ces pensées négatives ont disparu grâce au groupe et on a pu extérioriser tout ça. » conclut Camara.

De fait l'expérience est ouverte à tous, des plus motivés aux moins disponibles, parfois juste venus faire des chœurs. Du fait d'un timing insensé, les textes ou musiques proposés ont été ensuite choisis en fonction de leur degré d'aboutissement : « au début on s'est retrouvé avec les propositions de chacun, explique Leïla. On s'est rencontrés cinq fois seulement avant de faire trois répétitions, ce qui est très peu, puisqu'on s'était fixé de faire l'album en cinq semaines. Certains avaient des idées asses précises, comme sur Problems, le reggae qu'on trouve sur l'album pour lequel Charles est arrivé avec quelque chose de travaillé. Pareil avec les textes sur lesquels on a construit des choses assez différentes. Ça s'est fait autour des affinités musicales. »

Les quatre porteurs de projets participent à la composition et à l'enregistrement express, de même que Vincent Rémy, programmateur du Jack Jack, et Yann, son régisseur. Car entre-temps la salle brondillante est entrée dans la boucle et a offert sa scène et son studio pour accueillir répétitions et enregistrement. Celui-ci s'est déroulé sur deux jours, les 19 et 20 février dernier, pour mettre en boîte six morceaux très différents.

Conquérir son talent

Le résultat, eu égard au temps imparti et au fait que la plupart des participants sont amateurs, est surprenant : des piano-voix autour de quatre poèmes déclamés par leurs auteurs, parfois en VO (Le rêve du migrant) sur un accompagnement du pianiste Khayal, au reggae précité de Problems en passant par une très belle ballade bossa-folk, Summer sweet, portée par Bliss, chanteuse assez exceptionnelle du haut de ses... 15 ans.

Pour la suite, la petite troupe aimerait, quand le contexte sanitaire le permettra, pouvoir fêter l'aboutissement de Faces sur scène. Des contacts ont déjà été établis avec des événements lyonnais. De même que le rapprochement entre Singa et le Jack Jack pourrait pérenniser le projet sous la forme d'un partenariat entre les deux structures.

Et si Studio Hirundo n'avait au départ aucune vocation professionnalisante, on peut néanmoins penser qu'il a levé le voile sur quelques talents nommés Bliss, Charles, Dan Bozhlani, Khayal ou Camara, qui mériteraient qu'on leur prête attention. Parce que comme le dit Camara, outre la création d'une famille désormais formée par des gens qui ne se connaissaient pas, et pour certains isolés : « ce qu'on a ressorti de tout ça, c'est une certaine audace, une capacité à conquérir notre propre talent. »

Studio Hirundo,  Faces (sur Bandcamp, Soundcloud et YouTube)


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