The Father

Florian Zeller s'empare de l'adaptation britannique de sa pièce à succès en embarquant une distribution et une équipe technique expérimentées. Le résultat s'avère conforme aux craintes : un aimant à Oscar lisse et propret ayant plus à voir avec le théâtre que le cinéma…


Octogénaire vivant dans un vaste appartement londonien, Anthony sombre dans la démence. Pour lui, le temps se diffracte : il confond présent et passé, sa fille Anne avec l'assistante de vie, oublie jusqu'à la mort de sa cadette… Sa perception relative de cette altération affecte son humeur, le rendant agressif et paranoïaque. D'ultimes protections avant le lâcher prise final…

Tant de dithyrambes ont déjà été dites et écrites sur Le Père (pièce et film) que porter un avis contraire semble tenir d'une posture stérilement provocatrice façon Kaganski époque Amélie Poulain ; tentons toutefois d'avancer quelques arguments… S'il n'est pas rare qu'un triomphe de la scène trouve une prolongation “naturelle” sur les écrans, métamorphoser un matériau théâtral en projet cinématographique n'en demeure pas une affaire aisée. S'affranchir de la contrainte du huis clos que la scène impose généralement constitue la principale préoccupation des réalisateurs : certains s'en accommodent en créant d'artificielles “aérations“ visuelles, d'autres laissent le flux et la tension verbale sculpter les séquences ; d'autres encore créent des objets hybrides jouant sur les deux tableaux (Rohmer, Resnais, Ruiz…) très adaptés à l'exploration onirique, à la déréalisation du réel ou aux pièces épousant des structures non linéaires. Ce qui est ici assez logiquement le cas,  Le Père dépeignant la confusion spatio-temporelle du personnage-titre.

Pièce manquante

Sauf que Zeller n'en fait pas grand-chose, ou en tout cas pas assez. Il placerait des caméras devant une représentation théâtrale interprétée par cette distribution de prestige qu'il obtiendrait peu ou prou le même résultat, la même restitution des surfaces (gros plans en moins), les mêmes morceaux de bravoure d'écriture ou de jeu, séparés par des fondus au noir comme autant de rideaux réclamant par un silence soudain l'applaudissement compassionnel d'un public servile, histoire de saluer une “performance“. Belle affaire que ces performances gravées dans le marbre, millimétrées, éculées de déchéance bourgeoise propre sur elle, dans une dignité en velours côtelé ! De la mise en scène peut-être, dans l'extorsion des sentiments et la conception de ce film dont l'affiche évoque une empilement d'ingrédients de luxe ; un prétexte pour faire pleurer et glaner du trophée. Mais pas de réalisation. On en viendrait presque à rattraper malgré son esthétique de téléfilm la précédente et lointaine adaptation boiteuse du Père, Floride de Philippe Le Guay avec Jean Rochefort.

Le constat est d'autant plus terrible que le hasard du calendrier offre au Père deux points de comparaison qui lui sont plus que défavorables. Tout d'abord, l'excellent Falling où Viggo Mortensen, partant d'un argument comparable (la perte d'autonomie d'un père célibataire devenant sénile et la nécessité de lui trouver un nouveau foyer), restitue avec une extraordinaire poésie audio-visuelle l'égarement entre les strates du temps de l'ancêtre revêche — investi en profondeur par Lance Henriksen, qui dispose avec ce repoussoir d'un personnage autrement plus nuancé et complexe que celui d'Anthony Hopkins, lequel cabotine en pantoufles jusqu'à la grande scène de l'Acte III. Si loin d'Hannibal Lecter et de ses prestations sur Instagram !

Enfin, pour le contrepoint paritaire, on citera également le film croate Mère et fille où une fille revient au pays s'occuper de sa mère en fin de vie. Une trame bergmanienne mais que Jure Pavlović traite sur un mode réaliste, sans le conformiste cosmétique de Zeller.

The Father
Un film de Florian Zeller (G-B, 1h36) avec Anthony Hopkins, Olivia Colman, Rufus Sewell, Imogen Potts…


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