Sens interdits, carrefour des possibles

Sens Interdits, le festival biennale dédié au théâtre de l'urgence est à mi-chemin de son remuant parcours. Point d'étape.


Le festival 2021 a commencé avec les premières répétitions du Bonheur de Tatiana Frolova en Sibérie, chez elle, il y a dix-huit mois — et au festival Santiago Mil où le directeur et fondateur de Sens Interdits Patrick Penot, hispanophone (et à demi Polonais !) se rend régulièrement, car cette manifestation « met sur les plateaux tout ce qui se produit au Chili, en Argentine, en Bolivie ». Depuis 2011, le Chili vient donc à Lyon et cette année, il est particulièrement à l'honneur avec cinq productions.

Sens Interdits 2021 a aussi commencé d'une autre façon le 7 octobre quand a été officialisée l'annulation d'Outside. Kerill Serebrennikov est assigné à résidence en Russie jusqu'en 2023, en raison de son militantisme en faveur des droits LGBT+ notamment. Les autorités françaises ont refusé à son équipe des laissez-passer que le gouvernement allemand leur a octroyé en début de mois. Va-t-on encore devoir relancer ce débat stérile sur la culture essentielle / non-essentielle ? Le fait est qu'elle existe, qu'elle sauve même parfois comme en ont témoigné dimanche 17 octobre au TNG-Ateliers, dix jeunes artistes afghanes exfiltrées de leur pays cet été grâce un exceptionnel réseau d'entraide sur le territoire français. Un jour, elles joueront probablement dans le festival.

Mémoire retrouvée

Ce même 7 octobre, Sens Interdits a commencé à la Maison de la Culture de Bourges dans une salle comble et debout pour la première de la tournée française de Feroz, petit frère de l'inoubliable Acceso. Car le festival ne se contente pas de faire venir des troupes du bout du monde pour deux ou trois dates dans la métropole, mais organise leurs tournées, souvent européennes. Une semaine plus tard au TNG-Vaise, lors de l'ouverture des agapes à Lyon, ce spectacle nous saute à la figure et nous mord les mollets. Tout commence par des éclats de rire : six mômes jouent sur un lit superposé métallique. La joie est courte car ils racontent la violence du traitement qui leur est infligé dans les Sename — service national pour mineurs entre maison de redressement et Assistance publique. Sévices sexuels, privation de droits… Longtemps, ils n'ont pas été entendus car « qui peut croire des orphelins, des bâtards, des délinquants ? » nous balancent-ils dans une mise en scène de Danilo Llanos qui parvient à les laisser s'exprimer tout en encadrant leur propos (les lettres des victimes qui s'écrivent à l'encre rouge sur cahier d'écolier, sur un immense écran en fond de scène). Juste après, de façon plus confuse, les quatre femmes de Space invaders au Point du Jour disaient la fatigue et le manque d'énergie pour raconter leur enfance sous Pinochet.

Puis le festival a pris son rythme de croisière avec le jeu participatif Virus de Yan Duyvendak,  amusant sans être percutant. Et un petit bijou est né dans les caves du CHRD, haut-lieu de torture pratiquée par la Gestapo : dans C'était un samedi, dirigée par Irène Bonnaud, la comédienne grecque Fotini Banou, bluffante, porte dans sa langue une mémoire que son peuple n'a pas encore vraiment assimilée, celle de la déportation des Juifs. Avec d'émouvantes petites statues de terre cuite posées au sol cette actrice, propriétaire avec son compagnon d'un théâtre indépendant à Athènes si intriguant, est Stella Cohen, survivante, et tant d'autres jetés à Auschwitz-Birkenau un samedi 25 mars 1944. Malgré une première partie ardue, la pièce laisse sans voix — elle ne sera vue par les Grecs que dans quelques mois,  les théâtres n'ayant pas encore rouvert là-même où cet art est né il y a 2500 ans.

Quatorze spectacles sont encore à venir d'ici au 30 octobre à Lyon et dans la métropole, dont C'était un samedi qui poursuit son chemin les 21 et 22 à Caluire puis Bron. D'autres langues vont résonner et nous emmener en Palestine, en Sibérie, au Congo, au Liban, en Syrie, au Kosovo, au Québec, en Belgique (voir ci-contre) et au Chili, toujours au Chili ! Hasta siempre Sens interdits !

Festival Sens interdits
En divers lieux de la métropole jusqu'au samedi 30 octobre


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