Une exposition sur la brièveté de la vie

Ludmila Virassamynaïken, conservatrice en charge des peintures et sculptures anciennes au Musée des Beaux-Arts, est commissaire de l'exposition À la vie, à la mort ! : rencontre.


Quelle est l'origine de cette exposition sur la vanité ?
Ludmila Virassamynaïken : la stimulation principale a été donnée par une collection particulière privée — les propriétaires ont souhaité garder l'anonymat —,  dont la vanité constitue l'un des axes très forts avec des œuvres signées Jim Dine, Paul Rebeyrolle… Sur les quelque 160 œuvres présentées, une trentaine provient de cette collection. D'autre part, le contexte de la pandémie a bousculé notre programmation d'expositions, et nous a rappelé dans le même temps notre condition de mortels.

Vous insistez sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une exposition sur la mort…
La mort y apparaît seulement sous forme d'allégorie et jamais de façon frontale. Les œuvres exposées font toujours un pas de côté dans leur réalisation en soulignant les dimensions esthétiques, humoristiques… Il est davantage question dans cette exposition de l'existence bornée par la mort. On y voit surtout la vie et des vivants, au sens large puisque cela va des êtres humains aux animaux et jusqu'aux végétaux et aux fleurs.

Vous avez écrit un article pour le catalogue sur la peinture de fleurs, et l'on est surpris de retrouver ce motif dans une section de l'exposition…
Tous les bouquets de fleurs peints ne sont pas des vanités, mais on peut lire dans certains, à travers un certain nombre de symboles et d'éléments clefs,  le fait que ce soient des vanités. Mon article porte sur la peinture de fleurs qui a une place dans le genre de la vanité, jusqu'à la photographie de fleurs contemporaine…

Comment pourrait-on définir une vanité ?
Il existe de multiples définitions dans les domaines de la philosophie et des religions. En histoire de l'art, le registre de la vanité concerne des œuvres qui interrogent l'existence et la brièveté de la vie. De manière plus resserrée, la vanité, sous la forme de natures mortes, au XVIIe siècle en Europe était un agencement d'objets précis à connotation symbolique. Ces objets étaient alors liés au contexte calviniste, à l'urbanisation de l'Europe, au développement du commerce… Avec une dimension critique et un rappel à l'ordre moral et à la modération.

Il y a toujours une double dimension dans les natures mortes

Est-ce que les artistes du XVIIe siècle ne détournaient pas un peu la commande et le rappel à la morale pour exalter au contraire la jouissance de la nourriture, de la chaire, du luxe ?
Oui, il y a toujours une double dimension dans les natures mortes, avec aussi un rappel à la jouissance des biens terrestres par les artistes. A l'époque la nature morte faisait florès et constituait un véritable marché : les artistes, souvent, dépassent et se libèrent de la dimension morale sous-jacente au genre.

Parmi les vanités du Musée des Beaux-Arts avant l'époque moderne, il y a très peu d'œuvres d'artistes connus et emblématiques du musée ?
En effet, la vanité n'est pas un marqueur de nos collections. Ce serait plutôt la peinture d'Histoire par exemple. Ce travail sur la vanité a été une révélation pour nous-mêmes au musée : beaucoup d'œuvres ont été pour l'occasion sorties de nos réserves et restaurées, des peintures, mais surtout un grand nombre d'estampes exposées pour la première fois.

Comment avez-vous sélectionné les œuvres ?
Le critère principal a été la qualité, avec bien sûr une part de subjectivité inhérente à tout accrochage. Ensuite, il y a eu des allers et retours fructueux entre les deux musées : Hervé Percebois du MAC a proposé par exemple le Singe de Carmelo Zagari, ce qui nous a amené à faire des recherches sur les singeries et on a découvert plusieurs estampes sur ce motif dans nos collections ! Les deux collections se complètent bien, les choses se sont faites assez naturellement. À partir de là, on a dégagé plusieurs typologies de vanités, comme autant d'étapes thématiques du parcours de l'exposition, avec un dialogue entre les œuvres. Ces typologies ne sont pas exhaustives sur la question des vanités.

Il y a une œuvre hors typologie, l'installation vidéo de Bill Viola ?
Tiny deaths a été produite et acquise par le MAC à l'occasion de la Biennale d'Art Contemporain de 1993 et n'avait jamais été remontrée depuis. C'est un monde en soi, une œuvre très à part.

Qu'est-ce qu'apporte de nouveau ou de surprenant cette confrontation de l'ancien et du contemporain ?
D'abord, nous nous sommes permis des libertés d'accrochage que l'on se permet peu habituellement. D'autre part, la confrontation apporte un nouveau regard sur les œuvres, et ça va nourrir notre pratique dans l'avenir. Enfin, la grande surprise, c'est que le thème de la vanité ne connaît pas vraiment de rupture à travers les médiums et les époques. Il y a surtout des filiations et des continuités !

Pouvez-vous donner quelques exemples de rapprochements surprenants ou rafraîchissants ?
L'espace où voisinent des œuvres modernes de Rebeyrolle, Bacon et Étienne-Martin, donne un nouveau regard sur les dessins d'Antoine Berjon (un coq et un lièvre suspendus, datant de 1810). L'accrochage de la vanité de Picasso avec des natures mortes du XVIIIe et XIXe siècles est assez osée. Enfin des rapprochements que nous avons pu effectuer sur des critères purement formels entre des toiles de Erro, de Armand Avril, des sculptures du Nigéria et des estampes anciennes (danses macabres, triomphes de la mort) se sont avérés pertinents du point de vue de l'histoire de l'art : ces artistes modernes s'étaient en effet inspirés de ce type de représentations anciennes pour leurs œuvres !


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