Aquaserge sur un contempo

Héraut d'une certaine idée du psychédélisme pop et du rock progressif à la française, Aquaserge s'attaque à une poignée de totems de la musique contemporaine (Ligeti, Varèse...) malaxés comme des beaux diables. À retrouver sur la scène de l'Opéra Underground, créé pour ce genre de fantaisies sérieuses.

 


Dans un précédent article sur le travail d'Aquaserge nous évoquions le fait qu'il était aussi compliqué d'assigner le groupe fondé par Julien Gasc, Julien Barbagallo (aujourd'hui parti) et Benjamin Glibert que de tenter d'attraper de l'eau à main nue. Ce n'est sans doute pas les dernières sorties d'Aquaserge qui vont nous faciliter la tâche tant le groupe ne semble pas manier la géométrie variable que pour ce qui est de la sélection de ses membres.

Il y a trois ans, il s'était fait remarquer avec une reprise de Léo Ferré entre pop psyché et jazz expérimental qui avait contribué à sévèrement dérégler le GPS de ses suiveurs. Cette année, revoilà Aquaserge en disque et en tournée à la conquête de quelques-uns des grands compositeurs de l'ère contemporaine (Ligeti, Varèse, Scelsi et Feldman, Morton, pas François).

Mais c'est lui même qu'Aquaserge met en premier lieu en difficulté avec cette tentative (on le dit d'emblée, réussie, ne ménageons aucun suspense inutile) baptisée The Possibility of a New Work for Aquaserge, celle consistant à résoudre une équation a priori insoluble : parvenir à marier l'impulsivité proverbiale de ce que l'on nommera rock ou la versatilité ludique de la pop avec l'austérité abstraite de l'approche contemporaine. La méthode Aquaserge ? D'abord s'en foutre royalement et se laisser aller aux facéties, le reste finira par suivre. Car il s'agit ici davantage d'explorer un terrain de jeu, d'en goûter les délices que de se livrer à une relecture scolaire et fatalement ennuyeuse.

Un grand sommeil noir

Ici, c'est la cour de récré qu'on arpente davantage que la salle de classe. Ici, on joue avec les ruptures de tons et de timbres, on jongle avec les dissonances comme on le fait enfant avec les gros mots, on tartine la rythmique en jam psychédélique, on glisse d'inquiétants drones scelsien en nappes ligetiennes, on métamorphose Feldman en croque-mitaine de slasher-movie. Et on s'autorise même une chanson (d'entrée, comme ça c'est fait) avec Un grand sommeil noir, dont Varèse signa la musique, initialement pour soprano, à partir d'un poème tiré du Sagesse de Verlaine. Manière sans doute, une fois encore de se défaire de toute notion de hiérarchie entre les formes musicales, entre les expressions savantes et la geste populaire.

C'est en cela sans doute qu'Aquaserge renoue sur cet album avec son obédience progressive, le rock progressif étant l'un des chaînons manquants entre ces deux manières pas forcément contradictoires de concevoir la musique. En cela aussi que le groupe continue de se frotter de près ou de loin à l'héritage de l'école de Canterbury (Soft Machine, Caravan, Matching Mole, Gong...) et à son approche pataphysique.

Pensées pour neuf musiciens, et bien qu'immortalisées sur disque, ces relectures le sont aussi, et peut-être surtout, pour la scène, Aquaserge le présentant en tournée sous le nom de code "Perdu dans un étui de guitare" et à Lyon à l'Opéra Underground, qui ne pouvait être que gourmand de ce genre d'approche. Pour l'occasion, invitation est faite à Jeanne Added de venir poser sa voix sur des œuvres qui s'élargissent à Stockhausen. Une candidate idéale que la chanteuse-musicienne, autrice de Mutate, et qui a étrenné son timbre insaisissable du jazz au lyrique avant de le livrer à la pop, soit un CV à même de séduire ces grands versatiles d'Aquaserge.

Aquaserge et Jeanne Added
À l'Opéra Underground ​le vendredi 17 décembre


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