Ombres ondulatoires

Dans Le Jeu des ombres, pensée pour la cour d'honneur du Festival d'Avignon 2020 annulé, Jean Bellorini, avec Valère Novarina et Monteverdi, embrasse en musique et en mots, le monde des morts, plus vivant qu'on ne le croit.


Au départ, il y a l'Orfeo de Monteverdi. Jean Bellorini, qui a toujours accordé une place primordiale à la musique dans ses créations, s'y intéresse tant qu'il l'a présentée à la basilique de Saint-Denis en  2017. Pourquoi Orphée, à qui est accordé de retrouver sa dulcinée Eurydice dans les ténèbres, ne peut s'empêcher de se retourner pour la voir et la perdre ainsi à jamais ? C'est une relecture de ce récit que le directeur du TNP a commandé à Valère Novarina, avec lequel il avait déjà cheminé en 2008 pour une Opérette imaginaire. Cet auteur, chantre du langage inventé, produit une langue aussi satellisée – non on ne comprend pas tout au Jeu des ombres et ce n'est pas nécessaire – que foncièrement terre-à-terre. Les parties du corps y sont nommées sans détour, l'homme est rendu à son espèce animale sans que cela ne le déprécie, bien au contraire — c'est une « bête qui parle » — car « il n'y a jamais eu personne dedans » nous dit un "enfant de la colère".

« Le suicide ne sera admis qu'à titre rétrospectif »

Neuf comédiens, sept musiciens et deux chanteurs sont ici réunis sur un plateau dessiné de rais de lumière que Bellorini signe aussi. Les instruments anciens des airs baroques, des rideaux rouges plastifiés, et non en velours trop sage, habillent ce plateau que l'on dirait parfois emprunté à Bob Wilson (une de ses actrices figure au casting : l'émaciée et si singulière Anke Engelsmann).

Bellorini ne choisit pas un genre. Il épouse d'un même élan lumineux et chaud les mots, les notes, les voix, les mouvements (chorégraphiés par Thierry Thieû Niang) en lorgnant du côté du cabaret, de la pantomime et in fine du cirque pour rendre l'humain à sa disparition inexorable (trop accompagné par Dieu à qui est consacré un monologue pesant). Mais, au théâtre, cet art archaïque de tous les possibles, la mort n'existe jamais vraiment. Dans ce lieu ritualisé et païen, le metteur en scène sublime « tous les hommes ayant oublié d'exister » et laisse entrevoir une humanité plus grande encore qu'imaginée.

Le Jeu des ombres
Au TNP du jeudi 13 au dimanche 30 janvier

Rencontre avec Valère Novarina
À l'ENS de Lyon (théâtre Kantor) le lundi 24 janvier à 12h30


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