Le rythme dans la paupière

Tandis que Jean Bellorini met en scène son Jeu des ombres au TNP, l'artiste et écrivain Valère Novarina expose peintures et estampes à l'URDLA. L'agitateur des mots s'y poursuit agitateur des formes.


Se remémorant ses débuts improvisés et autodidactes dans la pratique plastique, Valère Novarina nous raconte qu'il s'était trouvé un jour isolé dans un chalet pour écrire mais, à court de mots, il s'était mis alors à dessiner, dessiner, dessiner… Un flux graphique prenant le relais de ses habituels flux de mots composant ses nombreuses pièces de théâtre. Depuis, la peinture est entrée au sein de ses mises en scène comme un élément, non pas de décor, mais de dialogue et de stimulation pour les acteurs (elles sont là pour les surprendre, voire leur faire peur, les agiter en tout cas). Paroles, peintures, corps en mouvement, c'est tout un même espace d'échanges, d'échos, de rebonds, chez Valère Novarina. Une danse à trois temps avec beaucoup de vide et de syncopes, d'entrechocs et de brisures.

L'écrivain-artiste insiste sur ce qui surgit, s'improvise, s'élance à travers sa main : mots ou lignes, noms ou figures. Il compose, maintenant, des œuvres plastiques détachées de la scène, existant pour elles-mêmes. À chaque fois, c'est comme un coup de dés qui fait proliférer tout un univers en mouvements, une constellation en giration spiralée. Écrire, peindre : ça secoue, ça pulse, ça donne vie… puis ça connaît sa propre existence, sa propre respiration. C'est peut-être cela L'Inquiétude du rythme, titre d'une œuvre et de l'exposition à l'URDLA. L'inquiétude comme attention et comme angoisse pour ce qui vient à naître.

Relancer les dés

À l'URDLA, Valère Novarina expose une dizaine de grandes toiles et quelques estampes. Dans les toiles, le regard se perd, sens dessus dessous : un mouvement d'ensemble spiralé, parfois une multitude de couches successives, des motifs en transparence, des saynètes discrètes dans des recoins… Il y a des motifs géométriques, d'autres organiques, des figures humaines et des bestioles, des gestes purement plastiques et des traces archaïques… Profusion, effusion, confusion. Si le théâtre c'est pour lui « les noces du langage et de l'espace », le tableau s'inscrit dans cette continuité : l'espace prenant ici un caractère un peu cosmique, Big Bang à chaque toile, et advienne que pourra dans l'esprit et les yeux du regardeur agité.

Tout est très matériel et sensitif, incarné, chez Novarina, et la peinture vient confirmer et relancer cela. L'artiste nous confie qu'en exerçant la peinture, c'est l'accident, le raté, la rapidité, la spontanéité du geste du pinceau et de la main qui ont remis en avant la matérialité des mots et du geste d'écrire. Ses mots comparables à des pigments, des mots qui ratent, débordent, coulent… On a la conviction que Novarina affectionne le plus grand désordre possible, soit une façon pour lui, à chaque œuvre, de relancer les dés (de déraison, de désir, de dérive) de la vie, de la parole, de l'événement.

Valère Novarina, L'inquiétude rythmique
À l'URDLA jusqu'au samedi 12 mars


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