Fanny Ardant : « en amour, l'expérience ne sert à rien »

La disparition prématurée de Sólveig Anspach a mené entre les mains de Carine Tardieu le scénario des "Jeunes Amants", que la cinéaste a retravaillé et tourné entre Lyon et Paris avec Melvil Poupaud et Fanny Ardant dans le rôle de Shauna. Rencontre avec une légende.


La co-scénariste Agnès de Sacy avait fait la promesse à Sólveig Anspach qu'une cinéaste réaliserait son projet de film. Pensez-vous qu'un regard féminin est foncièrement différent sur cette histoire ?
Fanny Ardant
: Je n'ai jamais su ce que c'était qu'un regard féminin. Vous savez, on m'avait demandé ce que ça faisait d'être dirigée par une femme après avoir fait L'Été prochain de Nadine Trintignant (1985) et j'avais trouvé ça… restrictif. Car avant d'être une femme ou un homme, il y a des êtres humains avec des composantes féminines et masculines — et chez les hommes et chez les femmes. C'est une question énigmatique que vous me posez.

Le rôle de Shauna a-t-il été difficile à interpréter ?
Non, à partir du moment où j'aimais ce personnages, où j'aimais cette histoire… Je n'ai jamais caché mon âge ; j'ai toujours été comme ça. Et même souvent, j'aimais beaucoup l'idée même de la provocation de dire « j'aime beaucoup être l'objet du dégoût » donc — je vais jusque-là ! Sur la pellicule, où l'on voit encore plus les détails de tout ce qui ne va plus, c'est un deal… Mais je préfère complètement épouser mon temps plutôt que de pleurnicher sur quelque chose que de toute façon j'ai perdu ; donc je préfère jouer mon âge. C'est un des trucs tabous de cette société, un peu comme « pourquoi les vieux messieurs ont le droit de se taper des filles, alors que les vieilles dames n'ont pas le droit de se taper des garçons ? ». On en revient toujours à notre société qui est dans le jeunisme. C'est comme une volupté d'opposer l'âge à une société qui dit comment rester jeune toute sa vie.

Ça me dégoûte le cinéma qui livre un message

Mais avoir l'âge du rôle — le personnage mentionne son âge à plusieurs reprises dans le film — vous était-il utile ?
Moi, je ne l'utilise pas. Quand vous posez les questions, elles sont très raisonnées et raisonnables, mais moi je ne joue pas comme ça… Non… On me demande toujours comment « vous avez préparé ? ». Et moi : « je n'ai pas préparé ». À partir du moment où j'avais accepté cette histoire et ce personnage, j'étais très contente de tourner avec Melvil, « Allez, laisse toi aller ». Et comme Karine savait exactement ce qu'elle voulait pour son film et ses personnages, et que je savais qu'elle était là…

Plus on définit un personnage d'une façon rationnelle et intellectuelle, plus on va perdre des choses que l'instinct ou le regard de l'autre nous aurait fait naître dans le corps et dans l'émotion. Tout ce qui était mis en état d'être joué et qui, dans le scénario, était très bien écrit, justement : les pudeurs de cette femme qui se dit : «  comment je vais me déshabiller, etc. ? » alors que je trouvais un peu que, arrivé à un certain âge, c'était comme quand vous arriviez à l'adolescence, la première fois que vous connaissiez un homme, vous aviez exactement les mêmes peurs : d'être trop moche, trop gros, trop vieille, etc. Je n'ai jamais fait ce film comme une sorte de pancarte brandie ; ça me dégoûte le cinéma qui livre un message.

Le film fait le distinguo entre amour d'enfance et amour de jeunesse…
J'ai l'impression qu'en amour, l'expérience ne sert à rien. Dans les histoires qui nous arrivent à 15, 16 ou à 70 ans, se met en branle un mécanisme où, malgré tout ce que vous avez vécu, rien ne vous défendra.

Entre l'histoire d'amour et la maladie qui arrive, y avait-il quelque chose que vous appréhendiez le plus ?
Je ne voulais pas tourner toute nue. Tout de suite, j'étais venue voir Carine Tardieu en lui disant que j'avais beaucoup aimer le scénario, mais que je ne le tournerais pas nue. Quand j'étais jeune, je ne m'étais jamais mise toute nue, je ne vois pas pourquoi maintenant je le ferais. Et Carine, intelligente, a pacifié l'histoire. Elle m'a dit exactement comment elle imaginait les scènes ; j'étais rassurée.

Après, la maladie, ça m'intéressait beaucoup. C'est comme un château-fort à l'intérieur de soi. Comment est-ce qu'on va résister ? Qu'est ce qui va advenir ? Est-ce que c'est le corps qui va dicter sa loi à la pensée ? Jouer le rôle d'une femme malade, c'est très intéressant. On a toujours le même esprit, comme le disque dur d'un ordinateur mais l'ordinateur est en train de céder.

Vous avez joué dans une dissociation corps/esprit ?
Je me rappelle que les premiers symptômes de la maladie de mon personnage surviennent lorsqu'elle est dans son bain. Tout à coup, il y a quelque chose qui commence à taper sur les fondations ; l'ennemi est en train de rentrer dans le château-fort…


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