La République en marche

De passage à Lyon prochainement, Maryline Desbiolles revient dans son dernier livre, Charbons ardents, sur La Marche pour l'égalité et contre le racisme de 1983, initiée par des jeunes des Minguettes.

 


Il fut un temps où l'on pouvait tuer les Arabes, presque en toute impunité — une vingtaine en 1983. C'était même une sorte de sport français. Un vieux relent de la rancune franco-algérienne née de la guerre. Mais 1983 fut une année charnière, celle où les Arabes de France, les jeunes surtout, les "deuxième génération" – cela dit comme si l'on avait compté les générations d'Italiens ou de Polonais – ont dit stop.

À l'été 1983, Toumi Djaïdja, le jeune président de SOS Avenir Minguettes est blessé à bout portant au ventre par le tir d'un flic en tentant de protéger un gamin d'un chien policier. Il est laissé pour mort mais s'en sort miraculeusement. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, avec le meurtre à La Courneuve de Toufik Ouanès, dix ans, tué par un voisin parce qu'il faisait trop de bruit et plus tard avec celui d'Habib Grimzi jeté d'un train par des légionnaires. Toumi et des jeunes du quartier lancent l'idée, avec le soutien du Père Christian Delorme, militant non-violent, d'une marche de protestation qui ralliera Paris depuis Marseille.

Résonance

La poignée de militants partie le 15 octobre se transforme en marée humaine à Paris le 3 décembre avant d'être reçue à l'Élysée. La Marche aboutit à l'obtention de la carte de résidents de dix ans et à pas mal de désillusions pour les Marcheurs. C'est sur cette histoire que se penche Maryline Desbiolles dans un livre aussi introspectif que rétrospectif, écrit pendant le confinement du printemps 2020 et fait de portraits et de témoignages souvent très émouvants des principaux protagonistes de ce qu'on appela La Marche des beurs – terme qu'ils rejetaient en bloc –, mêlés aux réflexions personnelles de l'autrice.

Difficile de ne pas y voir une certaine résonance avec notre époque où une (des) extrême(s) droite(s) décomplexée(s) a (ont) confisqué le débat présidentiel avec le fantasme de jeter à la Méditerranée tous ceux qui l'ont traversé dans le sens Sud-Nord, il y a quelques mois ou il y a soixante ans. Et de ne pas y adjoindre une question, qu'a fait la France de la Marche ? Sans doute le passage clé du livre est-il celui-là : « La Marche pour l'égalité et contre le racisme est-elle possible aujourd'hui ? Ce rassemblement, si minuscule soit-il au départ, de musulmans ou pas, non-croyants, curés, pasteur, garçons et filles pour qui la religion n'est pas une question, encore moins un problème, un tel rassemblement est-il possible ? Et au moment d'écrire ces derniers mots, quand bien même nous connaissons la réponse (…), m'apparaît avec force que la réussite de La Marche pour l'égalité et contre le racisme est d'avoir été possible. (…) Malgré les doutes, les peurs, les engueulades, et bien qu'elle n'ait pas apporté la victoire, qu'elle n'ait rien changé, ou si peu, et bien que les marcheurs en aient conçu de l'amertume, elle a été. »

Maryline Desbiolles,  Charbons ardents (Seuil)
À la librairie La Procure le jeudi 10 mars, en présence de Christian Delorme


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