François Favrat : « un mélange entre la France de De Gaulle et les oubliés de la République »

Compagnons use de la fiction pour mettre en lumière les métiers de l'artisanat, mais aussi les rites et coutumes de transmission propres à ces communautés d'apprentissage et de métiers si mal connues. Et que le réalisateur François Favrat a découvertes pour l'occasion. Conversation à l'occasion du festival de Sarlat.


Quel hasard vous a conduit à traiter de ce sujet ?
François Favrat
: Romain Brémond et Daniel Preljocaj de Soyouz Film m'ont fait lire un synopsis court d'une histoire qui se passait dans l'univers des Compagnons, que je ne connaissais pas du tout — j'en avais juste entendu parler. Je suis allé rencontrer des compagnons à l'Hôtel de Ville de Paris ; j'ai fait ensuite La Rochelle, Angers et Nantes. Nantes correspondait pas mal en termes de décors à ce que je cherchais. L'autre chose que je ne connaissais pas, c'était la vie de banlieue. J'ai passé pas mal de temps dans la cité de Bellevue à Nantes où on a tourné l'intégralité du film avec beaucoup d'acteurs et de figurants de là-bas. Notamment la sœur et la maman de Nadjaa dans le film, qu'on a castées sur place. De la même manière, il y a pas mal de jeunes Compagnons, que j'ai pris pour leur maîtrise des gestes techniques et leur façon d'être en général. Pareil pour le jeune Prévôt, qui dirige l'établissement : c'est Kévin, le Prévôt de la Maison de Nantes, qui est tailleur de pierre : je trouvais qu'il avait un truc d'acteur, il joue son propre rôle.

Vous avez signé Le Rôle de sa vie qui se passait dans le milieu des comédiens, La Sainte Victoire dans le monde politique et maintenant Compagnons. Qu'est-ce qui vous intéresse autant dans ces univers clos, ces cercles fermées et codifiés ?
Je n'y avais pas pensé — pour vous dire à quel point, quand on travaille, ce qu'on fabrique nous échappe. Mais c'est vrai. Je n'ai pas la réponse, parce que je n'y ai pas réfléchi. En revanche, les Compagnons et les jeunes, j'avais envie d'en montrer une image différente d'une banlieue dangereuse où on ne peut pas pénétrer, parce que ce n'est pas du tout cela que j'ai vu. Le quotidien de ces jeunes, il est très dur, ils sont très créatifs, très avenants et ça s'est super bien passé avec nous. Quand on leur a dit qu'on les prenait dans le film, j'avais envie de pleurer : ils étaient super émus. Quant aux Compagnons, j'ai été fasciné par la transmission du savoir, l'attention portée aux jeunes. C'était bien restitué via le personnage d'Agnès Jaoui qui remarque que Naëlle a quelque chose qu'il ne faut pas gâcher et qu'il faut tout faire pour préserver cette richesse. On m'a dit que c'était un mélange entre la France de De Gaulle et les oubliés de la République.

L'idée de passer du tag aux vitraux est venue assez tôt

Comment avez-vous choisi la discipline dans laquelle Naëlle aurait à s'épanouir ? Pour des raisons visuelles ?
L'idée de passer du tag aux vitraux est venue assez tôt. J'ai travaillé avec une fille qui venait du tag, on a dessiné, dessiné, dessiné pour trouver un style qui pouvait devenir un vitrail. Quand j'étais jeune dans la Drôme, j'avais des copains qui s'appelaient les Thomas qui ont un atelier de vitraux à Valence — ils ont depuis récupéré la boîte du père. Les vitraux, ça m'a toujours paru très beau. Dans la première version, elle était ébéniste et à la fin, elle faisait une table. C'était bien, mais j'avais du mal à rendre visuellement l'excellence du travail, la lumière qui passe, etc. J'avais une obsession à cause de ma table en bois : je ne voulais pas avoir l'effet docu France 3, travail manuel, qui peut être super déprimant. D'où les plans sous le verre, l'idée de le filmer en macro… Je voulais composer et qu'on sente le plaisir et la découverte dans le geste. Qu'il doit devenir parfait au fur et à mesure. Comme dit le personnage de Pio Marmaï : « c'est le travail d'une vie » — c'est vraiment une phrase de Compagnon. Il y a une telle humilité dans leur travail ! Passé le cap du début quand elle débarque et qu'elle les entend chanter, elle rentre dans un truc où les gens restent.

Vous montrez ce qu'il y a de positif chez les Compagnons, qu'ils permettent une émancipation des talents, mais aussi qu'ils peuvent présenter un côté un peu vitrifié, notamment une part de misogynie ou d'archaïsme…
Le débat sur la présence des femmes, bon, ils sont au courant puisque chez les Compagnons du Devoir, elles y sont depuis 2004. Quant à l'Union compagnonnique (qui sont des gens formidables), elles sont arrivées au moment où on a commencé à parler du tournage — du coup, un jour, il m'ont rappelé en disant : « ça y est, on a voté ! ». Donc je me suis servi de cette matière sur le personnage de Pio. Mais si vous connaissez les chantiers, c'est masculin à plus de 90%, ça le reste encore même si c'est en train d'évoluer et ça m'amusait d'avoir un personnage un peu bougon, un peu misogyne qui a presque peur d'elle.

Il y a aussi des réflexions d'atelier, des allusions diffuses, qui sont assez représentatives de la société…
Oui. Je fais du sport et c'est encore largement comme ça ; sur un chantier, ça reste largement comme ça. C'est bien : c'est en train de changer. Et chez les Compagnons, on a vu plein de filles super  :  charpentières, ferronnières, tailleuses de pierre… On sent qu'elles prennent une place. Il m'est arrivé d'en discuter avec des jeunes, d'ouvrir le débat sur la place des filles et qu'un tout jeune mec me dise : « non, y a pas de problème, mais ce ne sera plus comme avant. Il va falloir faire une aile pour elles et l'ambiance ne sera plus pareille. » Paradoxalement, les anciens sont plutôt pour réformer les choses. Ils sont ouverts au changement.

Quel a été leur retour sur votre film ?
La misogynie sur le papier… J'ai eu deux-trois remarques mais quand ils ont vu le film, franchement, ils se sont marrés. Ils ont vu que ça correspondait au réel. Donc il y a eu une jolie réception de leur part : ils ont accompagné la tournée en province du film dans les différentes villes où il y a des maisons importantes de Compagnons, pour faire ça ensemble.

Le film est dédié à Jean-Louis. Qui est-il ?
C'est l'un des Compagnons les plus âgés, que l'on voit avec une belle chevelure, et qui parle à un moment en breton quand Najaa et Adama sont en commission. Il est mort très peu de temps après le film et sa disparition m'avait particulièrement touché.


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