Gosselin et le Passé hanté

Julien Gosselin lâche De Lillo, Bolaño et Houellebecq pour se tourner vers Le Passé. En convoquant le Russe Andréïev, il livre à nouveau un spectacle monde, d'une grande maitrise et d'une grande beauté.


Il y a dans Le Passé tous les ingrédients qui font le succès de Julien Gosselin depuis qu'avec Les Particules élémentaires il s'est ouvert la voie des grandes productions : de la vidéo, de la musique sur scène, de la sonorisation, des temps longs (4h30 ici, presque petit joueur par rapport aux onze heures de 2666) et un art de la direction d'acteur qui ne se dément pas.

Sa compagnie Et si vous pouviez lécher mon cœur est un clan. Toujours solide. Ensemble, ils se décalent au croisement des XIXe et XXe siècles. Leonid Andréïev est mort en 1919, à 48 ans après maintes tentatives de suicide. Il laisse une œuvre dense, environ 40 pièces de théâtre et nouvelles – dans laquelle Gosselin pioche quatre textes, traduits par André Markowicz, qu'ils intercalent entre eux.

Ainsi les quatre actes de Ekaterina Ivanovna sont entrecoupés de Requiem, du très noir L'Abîme, solo disant une nuit de viol ou le très absurde Dans le brouillard, tout en masques grimaçants.

Poupées et puppets

Une fois de plus la lueur n'est qu'une option lointaine. Mi-Beckett mi-Tchekhov, les personnages nous disent qu'il « faut vivre quand même » et que « de l'espoir, il y en a toujours, hélas ». D'entrée de jeu, sur ce plateau sombre campé par une datcha et surmonté d'un écran vidéo, Ekaterina Ivanova échappe aux balles du pistolet de son mari, député jaloux d'une prétendue infidélité.

Tout est déjà là : comment surmonter les délires paranoïaques d'un patriarcat animé par le seul désir de tout contrôler et tout posséder ? En jouant de gros plans sur écran, pour des actions qui, parfois longtemps, sont hors de la vue, Gosselin frustre son spectateur mais ne cesse d'être au service de son récit et tout particulièrement de sa figure centrale : cette Ekaterina jouée magistralement par Victoria Quesnel.

Le passé n'est pas nécessairement ce qui n'est plu mais aussi ce qui a été nié comme son avortement tu. « Il ne s'est rien passé » dit-elle à propos de cet évènement pourtant majeur. Prise au piège de l'enfermement psychique, elle flirte avec la folie plus qu'elle n'y sombre car, dans les derniers instants de la pièce, dans une danse de transe, ce sont Gena Rowlands ou Romy Schneider que la comédienne ressuscite, offrant comme ses consœurs une folle liberté à un personnage meurtri.

Le Passé
Aux Célestins du vendredi 20 au mercredi 25 mai


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