Tartuffe droit au but

Pour ouvrir les Nuits de Fourvière, rien moins que la troupe de la Comédie-Française et une version de Tartuffe inédite mise en scène par Ivo van Hove. Simple et sexy.


Un Tartuffe pour les nuls, écrivait notre consœur Fabienne Darge dans Le Monde. Peut-être et alors ? Pour célébrer les 400 ans du baptême (car sa date de naissance n'est pas connue) de Molière, la Comédie-Française, qui fut d'abord sa maison en 1680, est allée chercher un texte méconnu que Georges Forestier, biographe de l'illustre auteur, a rassemblé : Tartuffe ou l'Hypocrite.

Exit le Tartuffe ou l'Imposteur créé cinq ans plus tard et qui passera à la postérité. Quand en 1664, Molière présente à la cour son premier Tartuffe, Louis XIV met à peine deux jours à céder devant le courroux de l'Église. Il n'est pas possible de cautionner un homme qui utilise la religion pour arriver à ses fins d'escroc. L'escroc sera donc un homme de la société civile qui se fait passer pour dévot.

Cette première version, reconstituée après étude des archives, n'a pas cinq actes mais trois, se déleste du couple Valère/Marianne et ne connait pas l'épiphanie finale. Plus rapide et plus nerveux.

Marina Hands campe une Elmire en émoi 

Avec cette matière allégée, pour sa troisième collaboration avec la Comédie-Française (Les Damnés, dans la cour d'honneur d'Avignon 2016), le metteur en scène Ivo van Hove s'attaque à son premier Molière en France et va droit au but : il est question de séduction et de dézingage en règle d'un équilibre familial apparent. L'enjeu de la religion l'intéresse peu.

Orgon, vieil homme veuf remarié à une jeune femme lumineuse quoique malade, accueille un SDF qui traine devant chez lui et va en faire son directeur de conscience pendant que Tartuffe va faire imploser ce vrai-faux équilibre sous les yeux de Damis, le fils d'Orgon, et Cléante, son beau-frère, loin d'être incrédules.

Le Belge, qui a abandonné un temps la vidéo pour cette création, use d'effets très appuyés pour guider le spectateur. Les sons de lames qui tranchent pour basculer d'un acte à l'autre sont inutiles, de même que la musique surligne un propos déjà simplifié ; le fait que ce soit le prestigieux (et vénéré par Hollywood pour ses musiques de films) Alexandre Desplat qui en signe la création ne change rien à l'affaire.

En revanche, la ponctuation induite par des panneaux faisant fonction de virgules rythme la pièce à bon escient. « Qui était cet homme ? », « Madame a-t-elle raison ? », « Qui piège qui ? ». Ivo van Hove s'amuse de ses personnages et accentue leurs travers : Orgon est inconsistant et Denis Podalydès lui rend son manque d'esprit, Tartuffe n'est qu'un séducteur à l'ego surdimensionné à qui Christophe Montenez offre la juvénilité de ses prétentions. Le premier entretient ici un désir non dissimulé pour le second que Roger Planchon avait déjà lu de la sorte dans son adaptation en 1962.

Quant à Marina Hands, elle campe une Elmire en émoi contrairement à celle de la version plus tardive de Tartuffe où elle apparait comme une femme menacée et non consentante, ainsi que l'a montrée encore très récemment Jean Bellorini en langue italienne dans Il Tartufo. Parfois (trop) proche du vaudeville, Ivo van Hove choisit délibérément la comédie – si tant est que ce jeu-là fasse rire.

Sans transposer frontalement Tartuffe au XXIe siècle, comme il avait pu le faire précédemment pour L'Avare dont la fameuse cassette était devenue la clé USB d'un trader, Ivo van Hove, extirpe cependant Molière de son époque pour le poser dans un décor de tréteaux métalliques, boite à jouer pratique et peu risquée dans laquelle tout fonctionne grâce à des acteurs parfaitement à l'aise dans cette mécanique bien huilée et in fine, agréable.

Le Tartuffe ou l'Hypocrite
Au Théâtre Antique dans le cadre des Nuits de Fourvière du jeudi 2 au samedi 4 juin


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