À Nuits sonores, 360° d'arts visuels

Pas question pour Nuits sonores d'abandonner la scène 360°, née l'an dernier de la contrainte Covid, grâce à laquelle les artistes visuels que l'on appelait hier VJs sortent de l'ombre pour faire de l'image numérique un élément vivant au service de l'imagination. Zoom sur celles et ceux qui continuent d'importer les arts visuels sur le dancefloor.


VJ ? C'est l'abréviation du mot Visual Jockey ou Video Jockey. Le VJing désigne la performance visuelle en temps réel durant laquelle l'artiste crée et manipule des images en se synchronisant sur la musique. L'artiste est alors au confluent de la performance, de la vidéo, parfois même du cinéma, du show et bien sur de la musique, faisant du VJing l'une des pratiques audiovisuelles les plus hybrides. Dans les pays anglophones, le terme avait été popularisé par la chaîne MTV, qui utilisait "VJ" pour désigner la personne qui animait et présentait les diffusions de clips vidéo.

Une appellation à nuancer, qui tend parfois à réduire l'artiste au rôle de technicien. Malo Lacroix, artiste visuel pluriel dont on pourra savourer le travail sur cette édition de Nuits sonores (avec A Strange Wedding et Anaco entre autres) développe : « je n'aime pas beaucoup ce terme, même s'il est le plus accessible pour le public, qu'il est intégré dans l'inconscient collectif. Ça avait du sens à l'époque, car ils faisaient de la projection d'images, de diapositives, ou déviaient les signaux TV (le circuit bending) pour tordre les séquences. Pour moi, le VJ est une personne qui mixe de la matière qu'il emprunte à d'autres pour faire vibrer des gens. De mon côté, je crée quasiment toute la matière que j'envoie, et ne réfléchis pas uniquement mon travail comme de la vidéo mais plutôt dans une réflexion globale, scénographique. J'ai une approche de praticien en allant chercher des matières, travaillant avec les phénomènes d'optique, d'ombres, de miroir... De fait, le terme d'artiste visuel me semble assez approprié. Ça vise aussi à plus de reconnaissance des artistes. »

Reconnaissance pour laquelle les programmateurs des festivals semblent avoir un rôle à jouer. Pierre Zeimet, directeur artistique de Nuits sonores, l'affirme : « nous sommes à la fois allés chercher des projets AV existants — où son et visuel sont indissociables, formant une œuvre pluridisciplinaire, composite, et souvent collaborative entre plusieurs artistes d'univers distincts, mais nous avons aussi poussé des artistes à créer un live A/V pour l'occasion, en mettant à disposition nos outils de résidence, permettant l'emergence de nouveaux projets comme Warn Twice. Notre rôle est aussi de valoriser cet art et ses esthétiques auprès de notre public. Même si Nuits sonores reste dans l'imaginaire collectif un festival de musique plus que d'art visuel, il n'en est pas moins pluridisciplinaire, proposant danse (Musahara), arts visuels, littérature (NS Lab), live A/V). Nous — les festivals — avons notre part de responsabilité et d'amélioration pour permettre aux VA (visual artists) d'être davantage dans la lumière. »

Nouvelles expériences sensorielles

Les origines du VJing remonteraient aux premières expériences de synesthésie cherchant à relier la sensation visuelle à celle du son. Dans les clubs des années 1960, l'usage de boules disco, de projections lumineuses ou diapositives offre aux noceurs de nouvelles expériences sensorielles. Entre 1966 et 1967 le collectif Exploding Plastic Inevitable, mené par Andy Warhol, contribue à fusionner musique et visuels dans un cadre festif. S'en suivra le mouvement psychédélique : Jefferson Airplane, Pink Floyd et Grateful Dead joueront un rôle important dans la recherche de perceptions inédites où la fête est considérée comme un format artistique expérimental. Vujack — dans les années 1990 — figure comme l'un des premiers programmes VJ se revendiquant comme tel. « Pour moi, on peut même remonter bien avant, avec tout ce travail de l'optique, le théâtre d'ombre de Robert Houdin et la narration visuelle avec les premières projections de Mélies… » précise Malo.

L'effacement des groupes de musique au profit du performer et de ses machines due à l'effervescence des musiques électroniques ouvrira la voie à de nouvelles possibilités visuelles, illustrées par des collectifs et labels comme AntiVJ et 1024 Architecture qui s'installent alors comme des références mondiales dans la sphère des arts visuels. Et de nos jours, une nouvelle scène est en train d'émerger, issue de festivals comme feu le Mirage Festival à Lyon ou Vision'R VJ Festival à Paris.

L'artiste Johanna Rousseau travaille actuellement sur le projet qu'elle présentera avec la musicienne Bernadette. « Le terme de VJ ne me dérange pas, il est juste, en un sens. Même si c'est vrai que je travaille aussi le mapping, le motion design, la performance vidéo… c'est très complet. Je digge beaucoup d'images d'archives sur le site de l'INA, que j'aime triturer ensuite pour les dénaturer. Mais je produis aussi mes propres images. Je viens de la vidéo, puis de l'animation. J'aime varier les plaisirs. Le set de Bernadette sera en trois parties. Elle a carte blanche sur la musique, moi, sur l'image. On se connait bien, donc on sait que ça va fonctionner. Ce sera beaucoup de formes géométriques, des animations, et la couleur orange, qui m'est venue naturellement. J'aime travailler à l'instinct, et je me laisse bien-sûr une large marge de manœuvre pour intervenir le jour J en live sur la création. »

Maitre laser

Le domaine de la nouvelle scénographie s'émancipe du format de projection traditionnel pour tendre à utiliser d'avantage les LED ou le laser. C'est ainsi que l'on pourra savourer lors du festival le live AV des londoniens BICEP — pour le dernier créneau du Day 4 — qui se parera pour l'occasion de lasers dont seul leur technicien spécialisé a le secret. Un live à ne pas louper.

Certains visent d'avantage une utilisation politique : le producteur ukrainien Dmytro Avksentiev aka Koloah ou Voin Oruwu, présentera son live AV Serenity (Day 2) comme « une réponse créative à la tragédie actuelle de l'Ukraine ». Une expérience audiovisuelle cinématographique et vibrante avec les archives vidéo et photo personnelles de l'artiste prises en Ukraine après l'invasion russe, liées aux images originales d'artistes locaux. « J'ai créé cet album pour réfléchir sur ce qui nous arrive : les larmes, la nostalgie, les rêves d'avenir et la foi en un avenir radieux. Une histoire diaristique de 45 mn entre départ de la maison, deuil, et recherche de sens » explique-t-il dans un communiqué. 

Pas plus "DJs de l'image" que techniciens, les artistes performeuses et performeurs visuels méritent qu'on leur rende leurs lettres de noblesse. L'image au service du son ? Peut-être. Le son au service de l'image, aussi. Festivalières, festivaliers : ouvrez grands vos yeux, autant que le seront vos oreilles, et savourez la fusion de ces propositions artistiques où arts visuels et musiques éclectiques se géminent pour ne faire qu'un et vous offrir, enfin, une bonne excuse pour quitter le site les yeux ronds.

Nuits sonores
À Lyon du mercredi 25 au dimanche 29 mai
La liste complète des artistes visuels est à retrouver sur le site des Nuits Sonores
Pour aller plus loin : le livre Audiovisual art and VJ culture de D-Fuse (Laurence King)


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