Alain Françon : « Godot c'est Godot. Point. »

C'est un des plus grands metteurs en scène français encore en activité. Remis miraculeusement d'une attaque à l'arme blanche dans les rues de Montpellier il y quatorze mois, Alain Françon retrouve Beckett et cette pièce immense qu'est En attendant Godot. Rencontre avant la création aux Nuits de Fourvière.


Vous avez monté Fin de partie en 2011, pourquoi se pencher maintenant sur Godot ?
Alain Françon : Beckett est un auteur qui m'accompagne depuis très longtemps. Quand j'étais jeune, la première mise en scène que j'ai faite dans un groupe moitié amateur, moitié professionnel, c'était déjà Fin de partie. Ça remonte à loin ! Quand j'étais au Théâtre de la Colline, j'ai beaucoup travaillé sur des auteurs comme Edward Bond qui détestait particulièrement Beckett pour des tas de raison que je n'ai pas le temps d'expliquer. Donc, je me suis éloigné de Beckett.

Et il y a eu la proposition d'un théâtre privé [NdlR : La Madeleine] de remonter Fin de partie, Luc Bondy l'a vu et a voulu le reprendre quand il a ouvert sa première saison à l'Odéon. Le spectacle a donc joué dans le privé et dans un théâtre national. Ensuite j'ai remonté La Dernière bande et j'ai fait deux versions du Dépeupleur.

Quel Godot avez-vous en tête ? Beckett dit lui-même que tout est déjà dans le texte.
Beckett a mis en scène lui-même ses pièces et j'ai eu la chance d'avoir accès à toutes ses notes. C'est très important pour moi de savoir comment Beckett regardait sa pièce. Ce qui est publié aux éditions de Minuit n'est donc pas juste, car quand Beckett a eu fini de monter Godot, il a dit « c'est ça le texte qu'on doit jouer ». Il y a énormément de coupes, toutes les didascalies sont différentes. C'est tout à fait autre chose. C'est l'objet de son travail final et c'est d'une intelligence absolument sublime. Je trouve que c'est un peu paresseux qu'on ne le republie pas, mais bon je ne suis pas éditeur…

J'ai rien à dire de Godot. Un des textes fondamentaux de Beckett s'intitule Mal vu, mal dit ; il a passé sa vie à mal voir et mal dire, volontairement, comme si c'était sa véritable éthique et sa véritable esthétique. Donc c'est très difficile d'avoir aujourd'hui une idée en surplomb. Godot c'est Godot. Point.

Il faut complexifier la chose au maximum

Est-ce que la présence des didascalies très précises et nombreuses ne vous entravent pas trop ?
Non, au contraire c'est inspirant. Il ne dit jamais ce qu'il faut faire. Il dit de belles choses sur les personnages. Vladimir c'est plutôt l'arbre, la hauteur et la pensée et Estragon c'est la pierre, la terre mais ça reste mal vu et mal dit. C'est profondément abstrait. Il n'arrive pas à dire des choses. Quand il dit blanc, c'est blanc sombre, quand c'est noir c'est noir clair. Quand il parle du décor, il dit « terre et ciel confondus ». C'est avec ça qu'il faut travailler sinon on simplifie. Or il faut complexifier la chose au maximum.

On a qualifié ce théâtre de tous les noms. On a dit que ça appartenait au théâtre de l'absurde, au théâtre du désespoir. C'est ça et en même temps c'est le théâtre d'une excessive lumière. Affirmer une chose et trois lignes plus tard dire son contraire. Toute son écriture est là. Aujourd'hui on voit des spectacles qui veulent parler politique et qui parlent des migrants mais ils font effet boomerang, ils reviennent dans la gueule et ne disent rien car le problème c'est la forme. Beckett s'est posé les problèmes de la forme, il n'a pas pris la tradition d'un théâtre boulevardier en intérieur ou bourgeois comme Ibsen. D'où il vient ? De rien. Il n'y a pas d'écrivain qui l'annonce. Et quand il s'en va, il fait table rase.

Quand le dernier mot de cette pièce est prononcé, qu'est-ce qui vous envahit ?
Il dit toujours sur la lumière que c'est « entre-deux ». C'est ça son abstraction. D'un coup la nuit tombe et la lune monte. Dès lors, on peut rêver. C'est tout ce qu'on peut dire.

Comment travaillez-vous avec vos fidèles acteurs (André Marcon, Gilles Privat…) ?
Il ne faut pas rater le comique. Mais il faut le trouver en dehors de la forme clownesque. Je pense que la plus belle bêtise qu'on ait pu dire sur cette pièce est que c'était les Pensées de Pascal jouées par les Fratellini. C'est peut-être les Pensées de Pascal mais quand Beckett s'est mis en scène il a oublié les Fratellini et c'est très important. Ce sont que des idées qui circulent.

En attendant Godot
Aux Nuits de Fourvière (Odéon) du jeudi 16 au dimanche 19 juin


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