Pina Bausch, une montagne pour le Ballet

Pour la première fois, une pièce de la chorégraphe Pina Bausch est transmise au Ballet de l'Opéra de Lyon : Sur la montagne, on entendit un hurlement. Soit rien moins qu'un événement et une gageure pour les jeunes danseurs du ballet.


Sur la montagne, on entendit un hurlement… Ce titre de pièce, abrupt, cinglant, crée l'effroi. La peur, l'angoisse, les affects négatifs en général, font partie intégrante de l'univers de Pina Bausch (1940-2009), aux côtés de l'humour, de l'envolée lyrique et de la densité humaine et dramatique de ses figures chorégraphiques.

Assistant à une répétition du Ballet de Lyon mi-juin, nous sommes immédiatement frappés par quelques saynètes d'une grande violence dans les rapports humains : des baisers forcés, des corps tiraillés, des courses en fuites paniques… Cette violence, Pina Bausch ne se contente nullement de la dénoncer, mais elle travaille avec. Rien ne sert de jouer les vierges effarouchées face à la violence et aux pulsions destructrices de l'être humain, selon Pina Bausch : elles font partie, peu ou prou, de chacun d'entre nous.

Ne se voilant pas la face, l'artiste travaille ces élans négatifs, leur fait rendre gorge, les explore sous toutes leurs coutures (rapports homme-femme, rapports individu-groupe, tensions au sein même d'un groupe, tendance à l'autodestruction chez un individu…). Reconnaître sa propre violence, c'est peut-être déjà un premier pas pour en faire quelque chose d'autre : un mouvement, une parole, un cri, un hurlement…

Intensité des corps

Entrer dans l'univers de Pina Bausch sera un défi pour chacun des vingt interprètes du Ballet de l'Opéra de Lyon. Un défi d'autant plus grand que, justement, la chorégraphe pour la création de ses pièces demandait à ses danseurs une grande part d'introspection, procédant par questions et improvisations personnelles ! Dominique Mercy, Anne Martin et Jorge Puerta Armenta, anciens danseurs de Pina Bausch, sont venus à Lyon pour transmettre cette pièce de 1984, peu connue du public et même des amateurs de danse contemporaine. « J'ai choisi cette pièce parce qu'elle est rare et moins connue que d'autres — telles que le Sacre du printemps, Café Müller ou Nelken ; parce qu'elle est comme le laboratoire de Pina Bausch qui nourrira ses pièces ; parce qu'elle est aussi, selon la belle expression d'Antoine Vittez définissant le théâtre, "le laboratoire des conduites humaines" » indique, dans le dossier de presse, Julie Guibert la directrice du ballet.

Créée deux ans après le choc de Nelken en 1982, Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört ressort elle aussi de la danse-théâtre propre à Pina Bausch, reliant ses différentes scènes comme un montage cinématographique non linéaire. Sur un sol de terre tourbée, les grands mouvements collectifs s'entremêlent à une multitude de saynètes plus intimistes, disparates et décalées, le tout sur des musiques allant des chansons populaires à des airs classiques… Dans cette pièce, Pina Bausch se focalise en particulier sur les difficiles rapports entre les hommes et les femmes, et les cris qui remplacent ici les mots peuvent tour à tour (ou tout à la fois) être des cris de douleur, de joie, de révolte…

« Je ne m'intéresse pas tant à la façon dont les gens bougent qu'à ce qui les remue profondément » déclarait Pina Bausch dans le documentaire Les Rêves dansants. Espérons que les danseuses et les danseurs de l'Opéra parviendront à cette intensité toute particulière des corps chez Pina Bausch : des corps et des sujets qui explorent leurs failles, leurs peurs et leurs fêlures, déchirés d'affects antagonistes.

Pina Bausch, Ballet de l'Opéra de Lyon, Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört (Sur la montagne, on entendit un hurlement)
À l'Opéra de Lyon du mardi 28 juin au jeudi 7 juillet


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