Les réfugiées afghanes au-devant de la scène

Il y a tout juste un an, neuf jeunes femmes apprenties comédiennes et leur prof de théâtre étaient exfiltrés d'Afghanistan et trouvaient refuge à Villeurbanne grâce au TNP et au TNG, épaulés par les collectivités locales. Cette saison, ils et elles présenteront leurs travaux.


Elles s'appellent Freshta Akbari, Shegofa Ibrahimi, Atifa Azizpor, Hussnia Ahmadi, Shakila Ibrahimi, Sohila Sakhizada, Sediqa Hussaini, Tahera Jafari, Marzia Jafari. Elles ont entre 18 et 24 ans et occupent les huit premières pages de la plaquette du TNP. Douze clichés en noir et blanc de l'artiste photographe associé au théâtre villeurbannais Jacques Grison. Voilà qui est simple et efficace. Elles font partie intégrante de la saison. Même si selon Jean Bellorini, il s'agit plus de « jeunes femmes qui faisaient des activités de théâtre que d'une troupe – les Afghan girls theater group » il a réalisé des sessions de travail avec elles en février puis en juin dernier. En juin 2023, il créera l'Antigone de Sophocle en langue dari (surtitré en français). Peut-être bien qu'il y aura un spectacle. « La question de la pratique professionnelle ou amateur n'est pas définie car vivre de son art en Afghanistan était difficile à envisager » nous confie Joris Mathieu un après leur arrivée pour laquelle il s'est infiniment battu lors de l'été 2021.

Dans la furie de la prise de pouvoir des talibans « qui ont été plus rapides à prendre Kaboul [NDLR, le 15 août] que la France à délivrer des visas », une centaine d'artistes a pu quitter le pays et être recueillis dans les différentes centres dramatiques nationaux de France avec des résidences d'artiste. La France a finalement accordé des laissez-passer qui, malgré la cohue, le racket, le danger qu'il y avait à rallier l'aéroport, ont permis qu'ils et elles soient en sécurité. Les villes de Villeurbanne et de Lyon se sont bien coordonnées pour les héberger dans trois appartements. Depuis « tous les artistes afghans ont été régularisé en un temps record. En trois mois ils ont obtenu le statut de réfugiés politiques avec un droit de séjour en France longue durée ». Il a fallu apprendre la langue française, apprivoiser la ville mais « elles se déplacent seules désormais, et la compréhension s'est bien améliorée selon Joris Mathieu ; quatre s'expriment assez librement, elles reprennent même leurs études et entrent à la fac de Lyon en DU Passerelle pour les étudiants en exil, deux ont aussi trouvé un boulot dans les services et la restauration ». Elles touchent par ailleurs soit l'aide aux réfugiés soit le RSA.

Leur réalité

Dès septembre, c'est leur prof Naim Karimi, diplômé en cinéma et en théâtre à l'Ecole des Beaux-Arts de Kaboul qui va exposer ses photos de la vie quotidienne en Afghanistan, les marchés, les rues dans le grand théâtre du TNP de septembre à décembre. Par ailleurs, avec les filles, il travaille à un focus consacré à leur pays (en novembre au TNG). « Ce qui importe est de permettre la réalisation d'un témoignage par la création d'une forme artistique qui sera courte (35 à 40 minutes) qu'elles ont écrit pour parler d'une réalité qui nous échappe. L'enjeu est de les laisser dans la plus grande liberté possible d'écriture et de réalisation possible d'écriture de leur projet et de leur donner un cadre professionnalisant qui leur permette de réaliser au mieux les ambitions qui sont les leurs » selon le directeur du TNG.

Elles rencontreront à cette occasion Kubra Khademi, elle-même exilée en France depuis 7 ans et qui a la première alerté en France du danger pour les artistes afghans l'été dernier. La plasticienne a signé l'affiche du récent festival d'Avignon et, à la collection Lambert de la cité des Papes, elle a présenté une stupéfiante série de peintures et collages coup de poing, souvent dorés, attaquant le régime totalitaire qui s'est installé chez elle. Elle signera à Lyon, en avant-première, une performance qui ira en mars au théâtre de la Ville à Paris. Peu à peu, au gré des workshops qui s'organisent avec les différents groupes de réfugiés dans les CDN de France, avec cette artiste désormais très reconnue, c'est une nouvelle vie qui s'invente pour ces jeunes femmes qui ne se définissent pas par leur exil mais par leur parcours antérieur. « Elles sont arrivées ici avec une modernité proche de la nôtre avec un attrait pour les réseaux sociaux, les smartphones, les boutiques de mode et un engagement politique contre le régime ; un désir d'émancipation ».

Exposition Une vue de l'Afghanistan, au TNP, du 6 septembre au 3 décembre

Focus Afghanistan, TNG Ateliers Presqu'île, du 23 au 25 novembre


<< article précédent
Tiago Guedes : « Le présent de la danse dans tous ses registres »