Lumière 2022, premières étincelles

Pour sa 14e édition, le Festival Lumière honorera Tim Burton et son œuvre à l'esthétique reconnaissable entre mille, peuplée de créatures “cauchemarrantes“ mais aussi empreinte d'une insondable mélancolie. Un nom fédérateur qui ne doit pas occulter un programme des plus appétissants…


Bref retour fin juin. Alors que le public brûlait de connaître le menu du 14e Festival Lumière, la révélation de son programme avait été mystérieusement reportée sine die. Une manière de faire durer le plaisir ? Peut-être puisqu'un mois plus tard, Tim Burton était annoncé comme récipiendaire du Prix Lumière, succédant ainsi à Jane Campion. Un lointain cousinage peut unir les deux cinéastes, dans leur attachement à l'enfance, à la musique ; dans leur goût — fort marqué chez Burton — pour des séquences “bricolées“. Venu de l'animation, le natif de Burbank use en effet de tous les ressorts et artifices que la machinerie cinématographique peut mettre à sa disposition pour délivrer des contes volontiers noirs valorisant des figures différences perçues comme “monstrueuses“ — Vincent, Frankenweenie ou Edward aux mains d'argent à ses débuts en témoignent. Son univers étant miscible avec les attentes des grands studios Warner et Disney, Burton est parvenu à s'épanouir dans la réécriture de franchises ou en adaptant des classiques auxquels il apporte sa touche décalée (Batman, La Planète des Singes, Charlie et la Chocolaterie, Sweeney Todd, Alice au Pays des Merveilles, Dark Shadows, Dumbo voire la série Wednesday, spin off de La Famille Adams qu'il vient d'achever pour la plateforme Netflix), sans négliger la poursuite de projets plus personnels, qu'il s'agisse de réalisations (Ed Wood, Mars Attacks !, Big Fish) ou d'écriture (L'Étrange Noël de Mr. Jack). Le Festival permettra d'explorer son univers en sa présence du 20 au 23 octobre — et, qui sait, d'invités appartenant à son fabuleux cosmos —, notamment à l'occasion de la “Nuit Tim Burton“ (samedi 22 octobre dès 21h à la Halle Tony-Garnier, avec notamment Beetlejuice, Ed Wood, Mars Attacks ! et Sleepy Hollow) : même si un dortoir est prévu, on préférera partager les rêves sombres et lumineux projetés sur l'écran géant.

Louis, Sidney, Mai, Jeanne et les autres

Au-delà du lauréat de son Prix, le Festival est riche de promesses. Rendez-vous des restaurations et des redécouvertes, il accueillera quelques rétrospectives bienvenues, à commencer par celle de Louis Malle (1932-1995). Deux fois lauré en or à Venise, une fois à Cannes, le cinéaste a laissé une œuvre d'une stupéfiante diversité balayant la fiction et le documentaire, n'hésitant pas à vitrioler le conformisme ni la société bourgeoise dont il était issu. Auteur de portraits élégiaques (Le Feu Follet) comme de pimpantes fantaisies (Viva Maria !), ce brillant technicien n'hésitait pas à expérimenter (voir Zazie dans le métro), trouvant sans doute dans le montage une liberté équivalente à celle du jazz qu'il prisait tant. Un autre amateur de jazz et de montage renoue avec le premier plan : Sidney Lumet (1924-2011). Immense réalisateur à la carrière couvrant un demi-siècle, pourfendeur des dévoiements de tous les pouvoirs (qu'ils soient policier, politique, militaire, judiciaire ou médiatique), il fut autant un maître conteur d'histoires (Le Crime de l'Orient-Express, Family Business), un lanceur d'alertes prophétique (Point limite, Network, Un après-midi de chien), qu'une conscience pour les États-Unis (Serpico, À bout de course…). Au chapitre de l'Histoire permanente des réalisatrices, c'est la Suédoise Mai Zetterling qui rejoint la déjà longue liste de ses consœurs célébrée par le Festival. Comédienne et cinéaste, elle fut l'interprète de Tourments de Sjösberg primé à Cannes, avant d'y présenter ses propres films Les Amoureux en 1964 et Doctor Glas en 1968… l'année où le festival fut interrompu. Autre figure cannoise (elle fut deux fois présidente du jury) dont la carrière de cinéaste est moins connue, Jeanne Moreau. Ses trois réalisations (les fictions Lumière et L'Adolescente ; le documentaire Lilian Gish) bénéficieront d'une projection dans des copies naturellement restaurées. Même traitement pour une épopée politique fêtant, comme l'Institut Lumière, ses 40 ans en 2022 : Reds de Warren Beatty. Vainqueur de l'Oscar du meilleur réalisateur pour ce biopic consacré au journaliste communiste, ce morceau d'Histoire semble appartenir à un bien lointain passé : Hollywood serait-il encore capable aujourd'hui de produire et primer une telle œuvre épique et politique  pour le grand écran ? Soyons optimiste…


Invitations à…

Au moment où nous mettons sous presse, seuls quelques noms d'invités ont filtré. Outre la soirée d'ouverture qui accueillera Louis Garrel et son équipe pour sa comédie policière tournée dans la région  lyonnaise, L'Innocent (samedi 15 à la Halle Tony-Garnier), on pourra compter sur la venue du cinéaste coréen Lee Chang-dong ; l'ancien ministre de la Culture du Pays du matin calme proposera ses premières œuvres restaurées. Également entre Rhône et Saône, le contrebassiste Kyle Eastwood offrira l'avant-première mondiale d'un spectacle musical interprété par son Quintet et l'Orchestre national de Lyon : Eastwood Symphonic. Voyage dans l'univers mélodique et cinématographique de son père, ce concert symphonique sera donnée mercredi 19 octobre 2022 à 20h à l'Auditorium de Lyon avant d'entamer une vaste tournée. Notez au passage que le lendemain au même endroit à la même heure aura lieu le ciné-concert de Dans la nuit de Charles Vanel. Malgré sa remarquable longévité, l'auteur (qui aurait 130 ans aujourd'hui) ne sera pas présent. En revanche, l'organiste Adam Barnadac accompagnera ses images en direct.


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