Dewaere sous la flamme

Le pari était osé : incarner Patrick Dewaere sur un plateau de théâtre, Les Valseuses comprises, sans le singer. Le metteur en scène Julien Rocha y parvient grâce au très solide texte commandé à Marion Aubert et à des acteurs haut de gamme qu'il dirige très précisément.


Attention, ceci n'est pas un biopic. C'est plus complexe et plus intéressant. Surexpositions (Patrick Dewaere) n'a pas pour sujet la carrière de l'acteur, mais bien ce que l'exercice chronophage du métier et sa notoriété fulgurante ont produit sur son jeu. Il n'y a pas d'actes, mais des « zooms », des « travellings » ou encore des « saturations » dans l'écriture de Marion Aubert.

L'écrivaine, à la longue carrière, commence par donner la parole à Mado, mère de l'acteur qui, en 1990, sur une place de Saint-Brieuc, face au buste sculpté de son enfant disparu posé sur un rond-point (« ça lui va bien, le rond-point. On peut le voir de partout ») se remémore ce qu'il était : « emporté et empoté, toujours les deux faces ». La suite sera à l'avenant : tendre, drôle, vivace, sans amertume (« il fallait bien qu'il y passe par la vie » cet homme qui « fécondait » l'écran).

Le sujet n'est pas de rejouer un film — question de droits et de désir aussi — mais de s'appuyer sur trois d'entre eux pour articuler un récit ancré dans plusieurs époques. Régulièrement, 2020 se pointe pour un « post-traitement », comme un commentaire actuel à cette époque où le vacillement du patriarcat qui s'amorçait à peine est désormais beaucoup plus prégnant. Mais pas de moralisation contre-productive et surtout anachronique. Ce twist narratif permet aux protagonistes de revenir sur ce qu'ils ont été. Et Miou-Miou de dialoguer avec Depardieu pour rire de ce « putain de succès » qu'a été le film de Bertrand Blier. Marion Aubert parvient aussi à redonner place aux voix féminines, comme la réalisatrice Christine Pascal qui pose la question des amours lesbiennes au cinéma.

Préparez vos mouchoirs

Lors des répétitions durant les mois empêchés par le Covid, le metteur en scène Julien Rocha nous expliquait le choix des films retenus « : « Les Valseuses pour la figure anarchiste, loser ; La Meilleure façon de marcher, film plus sombre où Dewaere incarne un personnage sur-masculin qui a une liaison homosexuelle, c'est un cinéma à la marge, qui lui ressemble. Et Série Noire, dernier mouvement du spectacle qui colle aussi à un dernier mouvement de vie, à ces années 80 malades et marchandes » et aller « d'un soleil levant à un soleil couchant, petit à petit quelque chose noircit ».

Cependant l'énergie étourdissante qui règne sur le plateau empêche l'acteur de mourir. Les nombreux changements de costumes (quatre comédiens pour une vingtaine de rôles dont un dévolu entièrement à Dewaere) accentuent le rythme de ces 110 minutes. Margaux Dessailly notamment trouve la bonne distance pour être une Miou-Miou sans fausse pudeur et sans vulgarité malgré la nudité si proche des spectateurs (attention, c'est de la haute-voltige). Les autres aussi font preuve d'une forme de virtuosité quasi circassienne tant il faut jongler avec les niveaux de récit et les personnages. Co-directeur de la compagnie du Souffleur de Verre installé dans le Puy-de-Dôme avec Julien Rocha, Cédric Veschambre porte toutes les nuances de Patrick Dewaere et ce n'est pas une mince affaire.

Très dialogué, avec des répliques courtes ou parfois des introspections et des colères pour un César non obtenu (alors que « Gérard » en a eu), un montage qu'il vit comme une « profanation » (celui de Série Noire), les replis de la vie privée qui se mêlent au plateau… Dewaere va de moins en moins bien et c'est dans les répliques imaginaires des acteurs entre deux prises sur un tournage que cette rivalité/amitié avec Depardieu, que les amours contrariées apparaissent dans ce spectacle si singulier, véritable ode à l'acteur. Aux acteurs et aux actrices.

Surexpositions (Patrick Dewaere)
Au Théâtre des Célestins du jeudi 13 au dimanche 23 octobre


<< article précédent
Radio Vino, en ondes et en vrac