La part des lions

Écrivain et essayiste, le Lyonnais Malek Abbou publie Scènes ordinaires de la vie des lions, contribution lyonnaise à la collection "Le Club des écrivains" des éditions Médiapop – où des écrivains évoquent leur club de cœur – et déclaration d'amour littéraire d'un inconditionnel de l'OL. 


Il faut bien cela pour se consoler des résultats en demie-teinte (allez, disons quart de teinte) de l'OL depuis trop de saisons, de cette décadence molle dans le contexte d'une retraite aulassienne qui ne vient pas et d'un rachat américain qui commence à prendre les traits de l'Arlésienne. Cela quoi ? Un livre de supporter. Mais de supporter lettré, amoureux transi, toujours juste, adepte du beau geste, et empreint de nostalgie. C'est tout l'objet de la collection "Le Club des écrivains" des éditions Médiapop, sises à Mulhouse. L'idée : demander à différents auteurs de raconter librement leur rapport amoureux à leur club de toujours en vue d'effectuer un tour de France (et peut-être un jour d'Europe) des clubs à dos de plume – neuf ouvrages sont parus à ce jour. Publié sous forme de hat-tricks (trois livres par salve), la collection vient notamment d'accoucher grâce à Malek Abbou d'un huitième volume, sur l'OL donc.

Malek Abbou l'avoue : natif de l'Ain, poussé dans les années 1970, son cœur balança un temps entre Saint-Étienne et l'OL et ne peut nourrir de haine pour la couleur verte. Cela n'en rend pas son amour moins sincère, qui parcourt la période allant de la fin des années 1970, époque où le football se fantasmait davantage qu'il ne se regardait sur écran, à la gloire replète des années 2000 (lorsqu'on invitait, à la romaine, de vrais lions sur la pelouse de Gerland, pour fêter le sixième titre d'affilée ou qu'il était possible de taper à peu près n'importe qui en Europe), en passant par l'intermède pas si cafardeux en deuxième division (Ah, Eugène Kabongo !).

Exultation

Occasion, ce livre, de se refamiliariser avec ce club prétendument mal aimé du reste de la France (ce qui n'était pas si vrai, comme un certain nombre de clichés sur la ville, nous dit aussi l'auteur). Comment oublier la grâce de Fleury Di Nallo, natif de Gerland, les têtes sur la barre (sa propre barre, en guise de sauvetage) de Grégory Coupet, les buts par wagons de Sonnygoal, les feuilles mortes de Juninho ramassées à la pelle par les gardiens adverses au moindre coup franc (et ce silence de la préparation qui précède l'exultation, qui pouvait réduire la ville au même silence avant de la faire exploser) ?

Car d'exultation il est toujours un peu question, celle qui consiste à retrouver, le temps d'un disjonctage du cerveau adulte, la joie immaculée de l'enfance, celle des chevauchées sur un terre-plein engazonné. Alors forcément quand l'OL rentre dans le rang et même carrément en dessous du rang, l'enfance tire la langue. Et Malek Abbou n'en fait pas l'économie, qui en quelques phrases dresse le diagnostic : « un mal étrange [qui] rend l'effectif incapable de jouer deux mi-temps avec la même intensité » et « cette drôle d'alternance de matchs accomplis et de prestation sous sédatif sans la moindre construction de jeu visible ».

Alors évidemment « on voudrait s'en aller parfois » nous dit Malek Abbou d'une plume élégante (et drôlissime quand il s'agit de dénoncer ces affres actuelles). Mais voilà, c'est aussi ce que nous disent les livres de cette collection, un fil invisible, quelque chose comme un cordon ombilical fantôme, relie le supporter à son club et l'empêche de reprendre sa liberté. C'est sans doute aussi ce qui est beau.

Malek Abbou, Scènes ordinaires de la vie des lions (Médiapop)


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