Un Edouard II drapé d'élégance queer

Grand coup de cœur pour un spectacle que nous n'avions pas vu venir : "Le feu, la fumée, le soufre" sur fond de guerre de pouvoir et d'amour fou dans le Moyen Âge anglais. Bruno Geslin adapte Marlowe : splendide.


C'est un grand spectacle qui se joue actuellement. Le Feu, la fumée, le soufre est la variation qu'ont faite Jean-Michel Rabeux et le metteur en scène Bruno Geslin de l'Edouard II de Christopher Marlowe. Contemporain de Shakespeare – né comme lui en 1564 –  Marlowe est la face noire du théâtre élisabéthain. Chéreau l'avait bien compris en choisissant de monter, pour l'ouverture du TNP à Villeurbanne en 1972, son Massacre à Paris.

Homosexuel qui ne s'en cache pas, l'auteur joue avec d'autres amours interdites (à l'époque !) dans sa pièce : le roi Edouard II est prêt à perdre son pouvoir, mettre le royaume à feu et à sang (et affamer ses sujets) pour couvrir d'attentions son mignon, Pierce Gaveston, simple fils d'écuyer. Son épouse comme les nobles ne le supportent pas.

Bas-fonds éclatants

Bruno Geslin, qui a un temps cheminé avec le théâtre des Lucioles de Marcial Di Fonzo Bo et Élise Vigier, inverse les rôles féminins et masculins. Ainsi le roi est campé par la fidèle actrice de Rabeux, Claude Degliame, et son amant par Alizée Soudet. L'esthétique queer rôde, nous sommes parfois dans un cabaret gay, la lumière dessine subrepticement des espaces comme on ouvrirait la porte sur un espace illicite.

La troupe évolue souvent en hauteur, sur des sortes de passerelles de bois carbonisé, et ainsi joue avec les chutes, le vertige, la menace. La musique électronique du duo Mont Analogue donne un supplément de chair à ce collectif où figure Lionel Codino qui fut souvent, pour Joël Pommerat, un Monsieur Loyal (Je tremble, Ma chambre froide…). Electro, inversion des genres, massive utilisation de la lumière : tout ceci mis bout à bout pourrait n'être qu'une litanie d'effets de mode.

Mais il n'en est rien, car Bruno Geslin a précisément choisi un texte qu'il n'a pas besoin de moderniser pour qu'il apparaisse dans toute sa cruauté et que jaillisse l'absurdité du pouvoir. Il l'accompagne d'un geste d'une élégance rare, où la putasserie de la vengeance et des jalousies exacerbées se drapent dans des artifices du théâtres remarquablement maitrisés.

Pas de lasers tonitruants façon Thomas Jolly, pas de marionnettes déglinguées façon compagnie du Munstrum, pourtant jamais l'aspect grotesque et farcesque de cette tragédie n'est amoindri. Au contraire, il éclate. Il n'y a pas tant de feu, de fumée ou de soufre que cela, il y a du théâtre au service d'un texte. Et ce n'est pas si souvent porté à ce niveau de talent.

Le Feu, la fumée, le soufre
Aux Célestins jusqu'au mercredi 7 décembre


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