David Murgia, plein-emploi

L'immense acteur David Murgia livre les deux premiers volets de la trilogie des périphéries d'Ascanio Celestini aux Célestins : Laïka et Pueblo. On ne s'en est pas encore remis.


C'est un flow, celui de la langue du maître du théâtre-récit européen, l'Italien Ascanio Celestini que son ami de vingt ans, l'acteur David Murgia interprète avec une qualité sidérante aux côtés d'un musicien (piano-accordéon) qui se fait discret, tant la parole du narrateur est une vague au long cours. 1h15 pour Laïka, 1h30 pour Pueblo. Quelques cagettes de boissons et un rideau pour décor. Les deux pièces jumelles seront complétées dans quelques années par ce que les artistes nomment une « trilogie de la périphérie ».

Quand Laïka est créée en 2018, elle apparait comme la réponse au Discours à la nation qui donnait voix aux puissants avec une drôlerie qui n'est pas absente des autres pièces, loin de là. Désormais, ce sont ceux qu'on ne voit pas qui font la matière de ce théâtre, ceux qui se résument à trois lignes dans la presse locale annonçant par exemple qu'une SDF a été retrouvée morte. Celestini leur invente une vie, remonte à leur enfance, fait vivre ceux qui les ont côtoyé : ainsi la clocharde Dominique, son amoureux manutentionnaire Saïd, la « reine du supermarché », une caissière à l'essai se rencontrent.

Europe année zéro

Si dans Laïka, celui qui parle prend les atours du Che, de Karl Marx ou de Gandhi, c'est la même histoire qui se dévoile : celle des démunies, entre réel et imaginaire. Celestini, conteur des temps modernes, ne choisit pas. Bien sûr, il n'épargne pas ses personnages qui connaissent la pauvreté, la violence intra-familiale puis celle des couvents de bonne-sœurs — « des batârdes » —, il intègre les « 100 000 corps morts au fond de la mer », fait un détour par l'histoire coloniale belge (tragique, forcément tragique) et fustige les policiers.

Énoncée comme telle, la litanie parait démago mais, au plateau, le jeu de Murgia porte haut ce Pueblo, jouant des bruitages (ah, les machines à sous !), de son rythme sidérant mais jamais étouffant. Même sans ses camarades du jubilatoire Raoul Collectif (Le Signal du promeneur, Une cérémonie) qu'il a contribué à former, l'acteur, formé à l'indispensable Conservatoire de Liège, excelle. Il est l'humanité disséquée et recrachée. À pleurer.

Pueblo + Laïka
Aux Célestins jusqu'au samedi 17 décembre


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