Pas tristes tropiques

Singulier duo harpe/guitare électrique, L'Étrangleuse creuse un drôle de sillon où se mêlent post-rock aride, vieille tradition française et folklores exotiques. Et offre autant de voyages immobiles dans des contrées perdues de recherche. 


Il y a les musiques de films imaginés, sortes de BO pour les rêveurs, à mettre en images en mode DIY (Anton Newcombe de Brian Jonestown Massacre a sorti un disque comme ça, il n'est pas le seul), il pourrait tout aussi bien y avoir, la musique traditionnelle de pays qui n'existent pas où restent encore à découvrir par quelque Christophe Collomb de la crypto-géographie. C'est précisément le créneau de L'Étrangleuse (déjà, drôle de nom) qui n'a de criminelle que le nom mais dont la musique vous prend quand même à la gorge pour ne plus vous lâcher.

On y entend quelque folklore d'ici, porté par des paroles en français, certes, mais sans beaucoup d'autre sens que les sons qu'elle produit, la scansion qu'elle assène, le mantra qu'elle fait tourbillonner. De la harpe qui infuse une sorte d'esthétique médiéviste mais sans jamais lâcher l'horizon de la modernité, s'autorisant à saturer comme une guitare électrique. Et justement, on y entend aussi de la guitare électrique oscillant entre le post-rock incendiaire autant que polaire voire lunaire et, plus étrange, quelque chose comme le blues errant des étendues sahariennes. Ce qui nous amène par association d'idées musicales ou quelque saut quantique (et cantique) à des sonorités de luth malien.

Big crunch et genèse

Et c'est donc comme si tous ces éléments musicaux se froissaient en un seul point terminal, big crunch esthétique ramenant ce cosmos à un point de singularité annulant par là l'espace et le temps. Il n'y a plus d'époque dans la musique du duo Mélanie Virot (harpe) / Maël Salètes (guitare, luth), plus de pays non plus, ils y sont tous et à la fois aucun. Et ce n'est sans doute pas un hasard si leur troisième album s'est baptisé Dans le lieu du Non-où. Pays sans nom donc, mais avec un non. La négation d'un pays. On y croise à Messine (Sicile), comme à Loisieux (Savoie) ou Charcenne (Haute-Saône) comme téléportés et à la fois ancrés.

La musique de L'Étrangleuse relèverait – comme la définition de la ville énoncée par Claude Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques, que le groupe reprend à son compte sur l'hypnotique Par sa genèse —, « par sa genèse et par sa forme (…) de l'appropriation biologique, de l'évolution organique et de la création esthétique ».

« Au confluent de la nature et de l'artifice (…) à la fois vécue et rêvée » ajoutait Lévi-Strauss. Sans doute la meilleure définition de la musique de l'Étrangleuse.

L'Étrangleuse
Au Périscope le jeudi 16 février


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