Faire feu de tout bois

Dans le cadre du 11e et dernier Festival Sens Dessus Dessous, nombreuses seront les pièces de danse curieuses et singulières à découvrir. Parmi elles, focus sur Les Délivrés d'Hélène Iratchet, la chorégraphe stéphanoise. Entretien. 


Que raconte votre nouvelle pièce, Les Délivrés ?
Hélène Iratchet : C'est l'histoire d'une mère et de sa fille, toutes deux chorégraphes et danseuses, qui répètent un spectacle, mais qui sont sans cesse interrompues par des livraisons d'objets, d'accessoires, de nourriture, qu'elles ont l'une ou l'autre commandés. La tonalité générale se veut comique et le titre Les Délivrés a trait à la fois aux objets qui sont livrés, et aux personnages qui tentent de se délivrer des modes de livraison contemporaine, et d'autres types de carcans ou d'assignations propres à notre société de consommation. La pièce s'inscrit aussi dans un paradoxe qui nous concerne tous : économiser l'énergie et consommer moins, et dans le même temps être soumis sans cesse à des sollicitations consuméristes !

Ce sont donc deux univers a priori très différents qui se rencontrent, ceux de la danse et de la livraison à domicile ?
Oui, et c'est l'occasion pour moi de dire que l'acte de création n'est jamais pur et détaché du monde social. Les artistes sont aussi des consommateurs en lien avec d'autres êtres proches ou éloignés. Ce monde hyper mondialisé peut parfois induire une empathie mondiale. Les trois personnages (deux danseuses et un livreur) sont des anti-héros avec beaucoup de faiblesses et qui ont un grand sens de l'autodérision. Je ne surligne pas les travers de la société, mais je les fais ressentir à travers l'humour. Je crois au divertissement et à la vertu des émotions, à l'encontre de tout discours didactique.

Une séquence de Bollywood

Certains qualifient votre univers de « danse de boulevard, entre Pina Bausch et Jacqueline Maillan » !
Je suis une chorégraphe qui n'a pas eu un parcours académique et j'ai mis du temps à trouver ma propre voie. J'ai dansé pour Gisèle Vienne, Christian Rizzo, Xavier Leroy, qui ont des univers très plastiques ou conceptuels. Avec le temps, je me sens de plus en plus libre de jouer avec les différents registres et codes de la danse. Je fais feu de tout bois, et dans ce spectacle, il y a par exemple des adresses au public, une séquence de Bollywood, du théâtre d'objets… Je collecte des sensations, des formes, et constitue des collages artistiques impurs. Je me suis rendu compte aussi du besoin de partir d'une trame narrative pour ensuite créer du mouvement.

Comment cela se traduit concrètement dans Les Délivrés ?
C'est un ballet hétéroclite qui joue avec les stéréotypes sociaux sur l'âge, les relations amoureuses, la couleur de peau… Et qui entremêle des textes dialogués entre les personnages, des textes enregistrés, de la musique, des mouvements de corps et des mouvements d'objets. Tous les éléments de la pièce dialoguent entre eux : les sons, les lumières, la scénographie, les costumes… Je ne donne pas dans le minimalisme et les couleurs, les formes, les lumières sont pour moi autant de strates d'énergies projetées vers le public.

Hélène Iratchet, Les Délivrés
Aux Subs du mardi 21 au vendredi 24 février, dans le cadre du Festival Sens Dessus Dessous


Festival Sens Dessus Dessous

Imaginé par Dominique Hervieu, le Festival Sens Dessus Dessous, depuis 2012, met en avant la jeune création chorégraphique internationale. Pour sa dernière édition (il sera remplacé l'an prochain par un autre festival concocté par le nouveau directeur de la Maison de la Danse, Tiago Guedes), le festival a pour thématique la voix, sous toutes ses formes.

Le Collectif ES joue avec les hymnes nationaux, Silvia Gribaudi met le rire en mouvement, Fanny de Chaillé crée un chœur drolatique et décalé, Nach jette sur scène une danse entremêlée de cris enragés et de râles, Flora Détraz s'empare des murmures et des borborygmes… Un événement plein de vitalité et de surprises qui se déroule du 20 février au 3 mars, à la Maison de la Danse et aux Subs pour Les Délivrés d'Hélène Iratchet.


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