Just au corps

Au Musée d'Art Contemporain, toute l'année 2023 sera consacrée à la thématique du corps. Un premier volet s'ouvre avec deux expositions, celles du Danois Jesper Just et des Suédois Djurberg & Berg, complétées d'un accrochage d'œuvres des collections du MAC.


Interfears, le film de l'artiste danois Jesper Just (né en 1974 à Copenhague), emprunte beaucoup de références à 2001, L'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick. Mais il nous propose une trajectoire exactement inverse : non plus un voyage cinématographique contemplatif vers l'au-delà spatial et la transcendance, mais un voyage cinématographique vers l'en-deçà de notre enveloppe corporelle où gisent, circulent, s'entremêlent… nos émotions. Émotions qui sont peut-être, au fond, aussi mystérieuses que les abysses spatiaux. L'artiste, d'ailleurs, déclare (dans le dossier de presse) chercher pour chacun de ses films « à créer des histoires ambiguës et ouvertes — des sortes de "non-histoires", sans début ni milieu ni fin…/… Je n'ai aucune idée de la direction que je prends quand je commence ; et c'est ce qui me plaît, que tout à coup je me retrouve avec quelque chose que je ne pensais pas avoir. »

Le dispositif d'Interfears est assez simple : l'acteur Matt Dillon passe une IRM cérébrale en écoutant un extrait de la 5e Symphonie de Mahler et exprime les émotions et sensations qui le traversent (peur, soulèvement, joie, douceur…), sans que l'on sache vraiment si elles sont réelles ou récitées… Sur l'écran, les plans alternent lentement entre des images de l'acteur et des images de son cerveau, plongeant le spectateur dans une sorte d'état hypnotique.

Mille-feuilles

Mais au-delà de la simplicité de son dispositif et de la qualité de sa réalisation, Interfears nous intéresse à un autre niveau encore : il fait se frotter dans un même espace-temps (un huis clos de 16 minutes) toutes sortes de modes d'expression (ou de mesure) des passions humaines comme les appelait Descartes. Les émotions peuvent être filmiques, musicales, vocales, scientifiques. Elles peuvent être aussi objectives, subjectives, fictives… Le plan cinématographique, l'imagerie scientifique, la musique romantique, le jeu d'acteur sont autant d'éclats expressifs de nos émotions, autant de modalités de leur saisie ou de leur expression. Ces différentes strates enroulées en spirale dans le film de Jesper Just se doublent aussi de strates temporelles (l'ancestralité de la voix, la musique du XIXe siècle, le cinématographe du XXe siècle, l'imagerie du XXIe siècle), avec en sourdine une confrontation et une jonction entre l'humain et la machine, l'expression artisanale-artistique et la très haute technologie…

Délires d'argile

Au deuxième étage du musée, on bascule complétement d'univers esthétique avec les films d'animation du duo suédois Nathalie Djurberg et Hans Berg. Il y est là aussi question d'émotions, mais plus encore de désirs, de fantasmes, de délires… Tout un univers follement libre où le réalisme étant mort, tout est permis. Les personnages et les animaux en argile évoluent dans des décors et des ambiances dignes de contes de fées, pour nous livrer des historiettes visuelles tour à tour drôles, cruelles, perverses, voire franchement transgressives. Ainsi, d'une mère et ses trois enfants qui s'amusent sur un lit, avant que la scène ne bascule dans un érotisme incestueux, un fantasme de retour dans la matrice maternelle, et un final littéralement monstrueux !

Au premier étage, une sélection d'œuvres des collections du MAC autour du thème du corps, permet de découvrir ou de redécouvrir un grand nombre de vidéos et de photos de performances jouant avec les extrêmes (de la douleur, du bon goût...), signées Vito Acconci, Denis Oppenheim, Marina Abramović & Ullay… Et, dans un genre plus apaisé, un très beau triptyque de scène de plage de Marc Desgrandchamps, des photographies de Delphine Balley, ou trois grands portraits à la neutralité saisissante de Thomas Ruff.

Jesper Just, Interfears
Nathalie Djurberg & Hans Berg, La peau est une fine enveloppe
Incarnations, Le Corps dans la collection du MAC
Au Musée d'Art Contemporain jusqu'au 9 juillet


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