L'utopie faite foot

C'est une pièce de Frédéric Sonntag dont nous ne savons pas grand-chose puisqu'elle n'existe pas encore – "Sócrates" elle est créé fin mars à Alençon et file à Lyon au TNG fin avril. Et pourtant, à la fois, elle nous intrigue et dit quelque chose de l'époque dans le milieu du théâtre public : un attrait pour le sport qui ne cesse de croitre.


Il est tout de même loin le temps où lire L'Équipe en attendant le lever de rideau était un crime de lèse-majesté (de majesté n'y a-t-il jamais eu, espérons-le). Le journal déplié prenait l'espace de trois sièges, il se lit désormais en 6, 5 pouces et demi sur un écran de téléphone. Et les spectacles liés au sport se multiplient sans garantir l'excellence (le trop appliqué Libre arbitre de Léa Girardet ou le beaucoup plus intéressant 100 mètres papillon de Maxime Taffanel). Une chose est sûre : les sujets sont en or avec leur lot de transfuges de classe et de déchéances qui n'ont rien à envier au Richard III shakespearien ou à l'Iphigénie racinienne. 

Frédéric Sonntag aime les « figures populaires » mais, se rappelle-il, « je connaissais mal le personnage de Sócrates, j'en avais une image très liée à l'enfance, à mon album Panini sur le Mondial de foot 1986 ». Le sport n'a jamais été jusque-là au cœur de ses travaux, que le TNG programme en ce mois qui lui est dédié — comme le théâtre a pu intelligemment le faire tout au long de cette saison — hors des murs de son QG (en travaux) de Vaise ; il est question d'Hollywood (Atomic Alert) et de science-fiction (Nous étions jeunes alors).

À 45 ans, ce natif de Nancy, auteur et metteur en scène nous dit être arrivé au footballeur Sócrates quand ce dernier décède, en 2011. « J'ai lu un article et découvert le club des Corinthians de São Paulo dont Sócrates est le leader en pleine dictature militaire en place depuis 1964 ». L'étudiant en médecine « très grand, très élégant », débarque dans ce club en 1978 et va être au cœur de l'expérience unique de la Démocratie corinthiane où le foot se désincarcère de la corruption de masse qui le régit comme le reste de la société et va, via un mode d'autogestion, permettre que l'argent généré par la billetterie soit redistribué à tous les salariés du club, qu'ils décident ensemble de l'entrainement, des lieux et des modalités de stage. Collectivement, ils prennent position dans la vie publique, affichant sur le terrain, via des banderoles, la nécessité d'aller voter aux élections de 1982 alors que le régime autoritaire semble flancher enfin.

Ce qui s'esquisse est bien l'histoire d'une nation et d'un idéal plus que d'un footballeur, qui en 1982 laisse filer la victoire en coupe du monde au profit des Italiens, trop occupé à pratiquer le beau jeu plutôt que de tenir le score. « Le football est mort le 5 juillet 1982 à Barcelone. Au stade de la Sarria. Le jeu physique l'a emporté sur le jeu créatif » dit-il dans la pièce à un certain… Socrate. Car l'idée de Frédéric Sonntag est que le philosophe grec s'adresse au footballeur brésilien pour lui faire « requestionner sa vie comme une sorte de clochard céleste, notamment sur le sens de la défaite ». Si Sócrates permet à son club, avec ses équipiers, de gagner deux fois le championnat national, il ne se prive pas de mener une existence épicurienne hors du stade, fumant une clope avant un test cardio « pour se chauffer les poumons ! ».

Footcheball

Dans un décor de « terrain vague, un espace mémoriel » comme le décrit le metteur en scène, et un déroulé similaire à un match (première période, mi-temps, deuxième période, prolongations), il sera question de la figure du père (autodidacte qui brûle ses livres à l'entame de la dictature pour se protéger) jusqu'à la descente aux enfers de cet idéaliste incarné par Matthieu Marie (fidèle de Daniel Mesguish à ses débuts et de Clément Poirée récemment) face à Marc Berman (le Orgon du Tartuffe de Benoît Lambert).

Avec quelques images d'archives (et beaucoup de documents consultés en amont), c'est le mythe Sócrates qui s'avance sur scène, dans ce que sa trajectoire raconte à Frédéric Sonntag aujourd'hui. En 1990, c'est l'un des petits frères de l'icône, Rai, qui le vengera en Coupe du Monde, ramenant le trophée doré au Brésil, ce même joueur qui a pris position conte la dictature de Bolsonaro à l'automne dernier, appelant sans ambages à voter pour Lula… que les joueurs des Corinthians ont rencontré lors de la fête marquant la création du Parti des Travailleurs en 1980. Le sport ne se résume jamais à lui-même et Frédéric Sonntag promet de le démontrer une nouvelle fois.

Sócrates
Au TNG - Les Ateliers du mardi 25 au vendredi 28 avril

Atomic Alert 
Au TNG - Les Ateliers du mardi 4 au jeudi 6 avril

Nous étions jeunes alors
Au TNG - Les Ateliers le jeudi 6 avril


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Théâtre : passe d’armes entre l’Espace 44 et la Ville de Lyon