La reine Kathryn

On recommande souvent de se placer à distance d'une toile de maître pour en apprécier les qualités, le recul augmentant la vision globale. De même au cinéma, où le temps rend (parfois tardivement) justice à des cinéastes d'importance sous-estimés. Telle Kathryn Bigelow, à l'honneur à l'Institut Lumière.


L'époque étant encline aux raccourcis, on résume en général la biographie de Kathryn Bigelow a un (haut) fait sans doute symbolique mais malgré tout anecdotique en regard de la densité de sa carrière : celui d'avoir été la première récipiendaire de l'Oscar de la meilleure réalisation en 2010. Une statue et un statut à Hollywood qui ne doivent pas occulter un parcours en dix longs-métrages (dont neuf dirigés en solo) dessinant une trajectoire d'une stupéfiante cohérence malgré la diversité des thèmes ou des registres visités.

Venue comme James Cameron du plus pur cinéma de genre — dont on sait qu'il enfile des masques pour mieux croquer le quotidien —, Bigelow va effectuer au tournant du siècle un chemin radicalement opposé à celui de son ex-mari et collaborateur en se rapprochant de la crudité des choses quand Cameron préfère investir (dans) la bleutée virtuelle des contes. En trouvant dans l'Histoire immédiate matière à drames humains et néanmoins spectaculaires : la tragédie d'un sous-marin soviétique nucléaire en pleine guerre froide (K-19 : Le Piège des profondeurs, 2002) ; la chronique d'une équipe de démineurs en Irak  (Démineur, 2009) ; la traque de Ben Laden (Zero Dark Thirty, 2012) ; l'évocation des émeutes de 1967 et la répression des Noirs (Detroit, 2017).

Sans faute

Celle qui fut l'élève de Miloš Forman n'aura pas attendu l'an 2000 pour se coltiner des sujets politiques — l'intrigue du futuriste Strange Days (1995) repose sur un crime raciste — ni pour hybrider avec profit les genres entre eux ou flairer les tendances. Aux frontières de l'aube (1987) croise l'univers des vampires et celui des cow-boys ; Blue Steel (1989) et Point Break (1991) préfigurent quelques mois avant le triomphe du Silence des agneaux le tsunami des films avec psychopathe et/ou enquêteurs du FBI… Si elle n'est pas exempte de tics (ah, les ralentis Bigelow…), sa réalisation échappe étonnamment à toute emprise d'une mode, donc à toute péremption.

Affirmé dès l'origine, son style s'avère aussi sûr que ses choix de distributions : de Bill Paxton à Reda Kateb en passant par Sarah Polley (Le Poids de l'eau, 2000) on frise le sans-faute. D'aucuns espèrent qu'elle sera désignée pour réaliser le prochain James Bond (même si Phoebe Waller-Bridge est sur les rangs) ; quel que soit le verdict, ils se consoleront avec cette rétrospective avant son passage sur Netflix.

Rétrospective Kathryn Bigelow
À l'Institut Lumière du mercredi 26 avril au lundi 29 mai


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