EggS : les œufs de la tête

Quelques jours à peine après Pâques, le lièvre nous apporte nonchalamment ni plus ni moins que le meilleur groupe indie rock de l'Hexagone selon l'Ifop (Institut Français des œufs pop) : EggS. Preuve qu'on ne fait pas d'omelette sans casser des briques. Beaucoup de briques. 


C'est un fait, la jeunesse n'écoute plus d'indie rock (sans doute à cause d'une mutation génétique que l'on n'aura pas vu passer : un gêne qui ne permettrait aux jeunes — qui s'habillent pourtant comme leurs parents dans les années 1990 — que de se concentrer sur le rap et la pop autotunée). Et il faut probablement avoir au minimum quarante ans (peut-être un peu et même beaucoup plus) pour apprécier les références étalées avec une nonchalance olympique par EggS from Montreuil (à ne pas confondre avec Egg, The Eggs ou Steve Eggs).

Un groupe que l'on n'hésitera pas à qualifier de "meilleur de France" à défaut d'être le groupe "préféré des Français" comme on dit dans les reportages de Capital sur les chips ou les camping-car. Ou le groupe préféré des jeunes Français. Comme ça, la petite troupe de Charles Daneau (au nombre de sept depuis la cooptation de Margaux Bouchaudon et Camille Fréchou des excellents En Attendant Ana) ne ressemble pas à grand-chose, juste une bande de slackers droit sortis d'un film de Richard Linklater ou Larry Clark tourné dans le 93.

Mais quand tout ce beau monde se met à jouer, une autre histoire commence. Et c'est un télescopage d'époques, de styles et d'atmosphères qui rejoue le Big bang à l'approche de nos esgourdes : un peu de la ligne mélodique des formations de Sarah Records (mythique label de Bristol devant lequel une poignée de puristes continue de se prosterner en chevrotant que la vie est moche), un son digne de la guirlande néo-Z Flying Nun (l'un des plus beaux aéropages indie rock de tous les temps : The Clean, The Bats, The Verlaines, The Chills, Garageland...), le prisme lo-fi des Guided By Voices et une sorte de désinvolture éruptive à la Feelies.

Bien sûr tout cela n'aurait pas le piquant eggSien sans le talent déguingandé d'un frontman au timbre vibrant qui chante juste ce qu'il faux, les backs délicieusement 1990's de Margaux (quelque chose d'une sororité vocale qui irait des Sundays à Camera Obscura en passant par Stereolab), un orgue et un synthé lâchés comme un renard dans un poulailler, une basse bien rondelette qui ne laisse pas sa part mélodique aux chiens (école Sensitive de The Feelies), un saxophone venu du fond des âges du Top 50, des guitares hésitant entre la jangle-pop la plus cristalline et un tranchant d'abattoir bovin et un masque lo-fi qui consiste essentiellement à faire croire qu'on a rien foutu alors qu'en fait on a trimé comme des galériens. Le tout balancé avec une énergie punk délicieusement bubble gum qui donne aux morceaux des airs d'hymnes à jouer dans le garage d'une tiny-house (en tête Certain Smile, Local Hero, Still Life...).

Et dire qu'EggS rechignait à publier un album après notamment un EP inaugural entamé avec l'irrésistible verve tongue-in-cheek à la Jonathan Richman d'I Fell in love she didn't even know I exist and the I formed a band, estimant son genre de musique pas du tout taillée pour le format. Et c'est vrai, sur un album, il y a des temps morts, des accalmies, des baisses de régime (parce qu'on est pas génial toute la sainte journée), alors qu'ici pas du tout. Comprendre : leurs morceaux sont trop bons pour être gachés sur un album. Et donc A Glitter Year est comme une enfilade de singles, de tubes qui n'auraient rien à faire de celui qui précède et de celui qui suit et s'affichent chacun comme s'ils étaient le dernier morceau joué avant la fin du monde.

Tout ça pour quoi, pour qui ? Pour le putain de fun, pardi. Mais sinon pour personne ou presque. Le groupe le sait, ainsi que le disait Charles Daneau dans une interview au site Indiepoprock : « à part une cinquantaine de potes et quelques mecs qui vont taper le tag indie ou jangle pop dans Bandcamp, tout le monde passera à côté et ce n'est pas si grave. » EggS, c'est le jemenfoutisme guidant le peuple. Le peuple ne suit pas ? La belle affaire !

EggS + Altwain
Au Sonic le mercredi 26 avril à 20h


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