Un émerveillement, Là

Il est des moments rares : ceux où l'on rencontre des créateur·ice·s qui font une œuvre majeure. De celle qui vous remue entièrement et laisse aussi intranquille qu'elle apaise. Enfin, les Baro d'Evel sont de retour à Lyon. « Là » est là et c'est une chance immense. Une tentative sans cesse recommencée de tenir debout quand tout vacille.


On les avait laissés en 2015 avec Bestias. Le duo Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias livrait sous chapiteau une chorégraphie avec chevaux et oiseaux. La pièce naissait aux Nuits de Fourvière, dans le parc de Lacroix-Laval. Leur retour était annoncé depuis longtemps mais le Covid etc. a vu le jour en 2018, c'est peu dire qu'il était attendu avec son 2e volet, Falaise, crée un an plus tard, plus lourd techniquement (avec deux chevaux). N'est donc que présenté que qui se suffit tellement à lui-même. Seuls au plateau, en salle, dans un noir et blanc qui dit la difficulté à trouver sa place (car oui le blanc s'efface et laisse place au noir, oui l'un et l'autre se salissent, rien n'est vraiment blanc ou noir), ils jouent. Circassiens rencontrés au CNAC, ils osent la danse, le clown (Blaï Mateu est né dans une famille de clowns), le burlesque, le chant lyrique, les cris, la bestialité, le théâtre aussi. Ça parle, beaucoup, trop pense-t-ton parfois avant de se raviser tant ce spectacle est pensé et se poli d'une séquence à l'autre.

Jamais gris

Où se trouve-t-on ? Avec qui ? Comment opérer une rencontre, un rapprochement ? En a-t-on peur ? Pourquoi ces atermoiements face à l'évidence et au désir ? Entrer en lutte, contre soi, pour soi, le poing levé comme le tient à plusieurs reprises la circassienne. L'altérité comme grand déséquilibre et seul moyen d'être au monde et tenir debout à l'image de ce finale acrobatique pour tenter de remettre les pieds sur terre. Beckett, n'est pas loin, Maguy Marin non plus. Le corps se grime de blanc comme chez la chorégraphe dans l'immense May B. Tout n'est d'ailleurs que « peut-être » avec les Baro d'Evel qui tentent cette utopie d'être là, rien que là disent-ils. Souvent drôle – les enfants y trouvent leur compte – réservé aux adultes dans une scène de râle et de jouissance à peine masquée qui se partagent avec tous tant c'est aussi un jeu avec la voix et le corps, animal encore. Micro en mains, Blaï Mateu a des airs de Tom Waits désarticulé qui dessine un paysage sur ces trois murs blancs qui le cloisonnent. Où une phrase faite d'une ligne tracée au micro dit autant que des mots. Un corbeau pie passe par là, déchiquette un bout de papier sur lequel se tenait un discours. Il n'en reste que des bribes et donc l'essentiel. Il faut recommencer sans cesse, ne pas lâcher, croire au lien sans quoi il n'y a plus rien. « Alors on y va ? – Allons-y » achevaient de dire sans bouger Vladimir et Estragon dans En attendant Godot. Les Baro d'Evel les ont entendu et poursuivent cette grande œuvre, en état de grâce.


Aux Célestins, dans le cadre des festivals UtoPistes et des Nuits de Fourvière, jusqu'au samedi 17 juin


<< article précédent
Au Plane’R Fest, ça plane pour Montcul