La vie contrariée des anges

Après avoir accueilli la Biennale de la danse, les Célestins ouvrent leur saison en grande salle avec un spectacle de danse-cirque aussi précis que doux, "La Chute des anges" de Raphaëlle Boitel.


Ils sont coincés dans leurs costumes rattachés à des cintres. S'en défaire est une vraie galère mais c'est aussi la condition de leur liberté. Et c'est tout l'objet de cette Chute des anges. Il va falloir faire avec son corps. Parfois il semble si étroit qu'il faut crier vers la lumière des mots (incompréhensibles) pour trouver un ailleurs. À d'autres moments, il constitue la possibilité-même de se lancer à l'assaut du monde. C'est le cas quand une poutre métallique de la machinerie théâtrale propulse l'une d'eux au-dessus du public ou quand cet outil se transforme en escalier pour grimper dans un au-delà dont on ne revient pas. Ne sachant pas si c'est alors la tragédie de la fin ou le début d'une vie nouvelle.

Depuis 2018, Raphaëlle Boitel tourne ce spectacle qui ne choisit pas sa case, dansé et chorégraphié mais aussi objet de cirque avec des agrès dissimulés et multi usages comme ce mât chinois mobile sur lequel grimpe avec grâce avec des circassiennes et qui, quand il frappe le sol, fait peur. Car La Chute des anges est inquiétant aussi. Les pas saccadés et déterminés dans une direction puis une autre opposée de sept membres de la distribution, engoncés dans leurs costards bien mis, déroute. Ils fuient, craignent d'être découverts quand tous ordonnent un « chutttt » à celle qui parle au-dehors ; quand ils découvrent le son sortant d'un gramophone, ils sont, comme Eglé et Azor, les enfants privés du monde de La Dispute de Marivaux, complètement étonnés.

Tombés du ciel

Avec un travail absolument remarquable sur le clair-obscur et le jeu de petits projecteurs articulés qui sont aussi des personnages inquisiteurs, avec une musique originale qui gronde par vague, La Chute des anges est une pièce d'une grande délicatesse. Décidée jeune enfant, avec ses frères et sœur (dont Camille) – et leur mère (qui apparait ici et signe les costumes) – à faire du cirque sa vie, couvée par Annie Fratellini. Interprète dès son adolescence des meilleurs spectacles de James Thierrée (La Symphonie du hanneton, La Veillée des Abysses), la contorsionniste trace un sillon aussi remarquable que modeste sur les scènes.

La Chute des anges
Aux Célestins, jusqu'au 7 octobre


<< article précédent
Nadir Moknèche : « Dans un film, on peut essayer de comprendre un peu plus »