Albert Dupontel : « je ne m'intéresse pas assez à Macron pour lui dédier un film »

Dans sa nouvelle réalisation "Second Tour", Albert Dupontel incarne un candidat à la présidentielle plus vrai que nature. L'occasion de revenir sur ses inspirations, ses aspirations, ses exaspérations mais aussi l'un de ses acteurs fétiches, Nicolas Marié…


Le César que vous avez obtenu a-t-il changé quelque chose dans la dimension de ce projet ?
Albert Dupontel : Ben depuis 10 ans, j'ai toujours eu des César ; j'en ai plein maintenant… Je n'accorde pas de valeur à cette reconnaissance. Les gens qui vont voir les films depuis 10 ans vous donnent de “l'audimat“ et donc, en quelque sorte, un intérêt commercial — ça, c'est très objectif. Quoi que l'on pense de notre travail, c'est cohérent : on récupère nos billes, voire on en gagne et puis voilà, ça ne va pas plus loin. Les César, je trouve ça bien que ça existe mais faut pas leur faire prendre une valeur plus importante que ça.

Le film raconte un peu ça : l'argent et le pouvoir vont à ceux qui sont déjà puissants. Et qu'il faut avoir le pouvoir pour faire ce que l'on veut…
Les puissants depuis 30 ans, c'est les marchands. La politique a beaucoup disparu : c'est un faux pouvoir que celui des politiques, il ne vont pas prendre de décision si je-ne-sais-que lobby est mis en difficulté — les chasseurs ou les pneus Michelin. Si le politique dit par exemple : « on n'a plus besoin des vols domestiques, je vais mettre les avions au sol » Comme ça va mettre 10 000 personnes au chômage, les compagnies aériennes vont gueuler et il ne va pas le faire car il est plus proche de ces personnes que vous et moi. C'est drôle, parce que pendant la préparation du film, au moment de la campagne électorale, on avait demandé à Jean-Marc Jancovici [le fondateur de The Shift Project, NDR]  « pourquoi ne vous présentez-vous pas ? ». Et il avait répondu :  « iI faudrait que j'avance masqué. Mais quel est le lobby qui va me payer si j'arrête l'artificialisation des sols, foutre des forêts, des pistes cyclables ? »

Vous êtes-vous inspiré d'un président en particulier ? On pense à Marcon et Sarkozy…
Je ne pourrai pas empêcher les gens d'y penser, mais je ne m'intéresse pas assez à Macron pour lui dédier un film, franchement — je le dis sans mépris : je ne pense pas que ce soit la bonne personne en ce moment. Je ne me suis inspiré de personne en particulier ni de quelqu'un en général : j'ai suffisamment vu de présidents. C'était des gens qui maniaient bien la parole, qui se comportaient bien en public, qui avaient un sens de la répartie, un certain charisme. Il n'y a qu'à voir, au tout début des films, quand on présente la carrière de mon candidat : il est pas coiffé, il est mal peigné, c'est un  universitaire et puis tout d'un coup, il est impeccable. Voilà, tout ça est minutieusement travaillé, il est en train de s'intégrer, en train d'attaquer sa séduction. C'était pas très dur à faire. Moi, ce que je comprends, c'est la psychologie de ces gens.

Mon candidat a été éduqué pour devenir une bête de compétition : plus il était fort, plus il avait le sentiment que sa mère l'aimait. Il a une quête de reconnaissance — elle était paternelle chez les Kennedy ; un père qui n'était pas le parangon de vertu imaginé. Ces gens ont tous une histoire personnelle. Napoléon avait une histoire personnelle.

Comment vous sentez-vous face à la situation actuelle ?
Perplexe, dubitatif… Mes parents étaient enfants pendant la guerre, donc ils m'ont raconté des choses. J'ai des enfants, donc ça prouve que je suis ou inconscient, ou optimiste. Ça fait 80 ans que notre sphère est en paix, combien de temps ça va durer ? Ce qui se passe en Ukraine, ça va se répercuter chez nous, c'est évident. Je pense que le réchauffement climatique et la nature qui crie au secours, ça va déclencher une panique généralisée et des gens qui ont envie de s'entretuer. Même  inconsciemment, les gens sentent qu'on est au bout de quelque chose. J'ai peur. Par exemple vu les températures annoncées dans 50 ans en Afrique ; qu'à l'Équateur les températures seraient létales… Les gens vont bien aller se planquer quelque part. Alors après, l'immigration n'est pas la problème, c'est l'intégration qui l'est. Ça peut faire le jeu de certains votes qui foutent encore plus les jetons…

Vous introduisez le film avec la phrase : « pour changer de système, il faut être dans le système »…
En lien avec Robert Kenney, justement, qui connaissait ce milieu-là, la technocratie… Pour changer tout, il faut être en costard-cravate et faire les bonnes écoles. C'est intéressant, les polytechniciens qui ont refusé l'installation d'un truc de Bernard Arnault sur leur campus. La conscience dans les élites ; il n'y a qu'eux qui pourront changer en arrivant au pouvoir. Les gamins des écoles de commerce aussi. Ils ont accès à la connaissance, ils ont l'âge et l'espoir de changer les choses.

Votre film s'inscrit-il dans la lignée de Bienvenue Mr Chance d'Ashby ?
Being There, c'est un film que je connais depuis très longtemps, que j'adore. C'est Jerzy Kosiński qui avait écrit le bouquin et Peter Sellers qui l'avait contacté. Cette fable m'a toujours passionné, je ne vous le cache pas. Jeunet m'a dit un jour : « Bernie, c'est deux films que t'as vu : Taxi Driver et Being There ! » (rires) C'est vrai. On m'en parle beaucoup dans les débats, beaucoup de gens font le lien. J'adore ce film : Shirley MacLaine y est exceptionnelle, la musique de Satie ; la déclaration d'amour en plan large… C'est super chouette, très pudique, c'est vachement bien.

En parlant de pudeur, vos acteurs disent que vous mettez dans vos films tout ce que vous n'osez pas dire dans la vraie vie…
Je ne sais pas. Le truc, c'est que le guignol-trash des années 1990, c'était une forme de pudeur pour ne pas me rapprocher de la réalité. J'ai toujours du mal avec la réalité. Ce film n'est pas réaliste du tout — d'où mon admiration pour Ken Loach. Je dis pas que n'irai pas vers ça, mais je ne m'estime pas forcément légitime — mais c'est lié à mon éducation bourgeoise L'humour est une forme de distance par rapport à la réalité, J'adore Chaplin, il raconte des histoires terribles en étant vraiment rigolo.

On retrouve au générique de Second Tour un comédien que l'on voit beaucoup grâce à vous, Nicolas Marié…
C'est un grand acteur. Au-delà des relations affectives, c'est quelqu'un que j'ai toujours trouvé épatant, qui ne fait pas de mauvaise psychologie et qui est très sincère, quelle que soit la situation loufoque qu'on lui donne. Donc je me suis vite emparé de cette idée (rires)

Il est à vos côtés depuis le début…
Oui, depuis le court métrage [Désiré (1992), NDR]. Il sent bien ce j'essaie de faire. Parler de fidélité, ce serait mettre une valeur morale… Il y a des tas de copains à qui je suis fidèle, mais ce ne sont pas de bons acteurs (rires). Dans Adieu les cons, Nicolas Marié aérait beaucoup les choses… Il m'est pratique : c'est un très bon acteur, je sais bien comment m'en servir. En plus, sur le plan du travail avec Cécile, ils étaient rigoureux tous les deux, enthousiastes… Je vous assure que quand vous êtes fatigué, ça fait du bien !

Selon lui, vous investissez votre part de folie naturelle dans vos personnages…
On me prête des intentions que je n'ai pas forcément. Je fais l'histoire, je trouve que le trio permet de raconter plus de choses que dans le duo. Dans le duo, peut-être je m'occupais évidemment d'un personnage un peu fou ; avec le trio, je peux diluer  un peu tout ça. Trois personnes, c'est déjà pas mal, quatre c'est mieux ; il y a des scénarios vraiment bien avec 15, 20 personnages… Donc, je peux diluer l'émotion que j'essaie de restituer. Et lui s'en empare un petit peu. Mais ce n'est pas conscient de ma part. Nicolas m'amuse ; là j'écris un nouveau scénario donc il y a une place pour lui, si on va au bout de ce projet, oui, j'aimerais bien qu'il le fasse, Il est amusant, il est touchant. Et surtout, il est très sincère quand il joue. C'est pour ça que je peux mettre n'importe quelle histoire. Quand il dit : « bâtard de ta race »  en allemand, il a été étudier les labiales, je vous le garantis !

Vous êtes moins fidèles aux actrices…
Il y a la complicité masculine… Mais j''ai besoin des rôles féminins. Définitivement, la femme n'est pas l'avenir de l'homme, mais  le complément de l'homme. Je n'arrive même pas à comprendre les débats féministes/machistes : un individu abouti est un individu qui combine les deux. Je ne travaille qu'avec des femme : ma femme est ma productrice. Mes rendez-vous de boulot, par exemple, je les fais toujours avec elle : elle une perception que je n'ai pas. C'est très complémentaire et ça fonctionne très bien. La femme est plus intelligente que l'homme parce qu'elle est pas encombrée parla testostérone,   cette putain d'hormone. Et vous avez remarqué que dans toutes les religions, les femmes sont soigneusement mises à l'écart ?


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