Claire Denis & Tindersticks : une bande originale

Ciné-concert exceptionnel à l'Auditorium avec le passage de rares Tindersticks venus jouer en direct sur des passages des films de Claire Denis dont ils ont écrit la quasi intégralité des musiques depuis quatre décennies. L'occasion de témoigner de la merveilleuse alchimie des univers du groupe pop de Nottingham et de la cinéaste française. 


« Une amitié de cinéma et de musique », c'est ainsi que Claire Denis définit la collaboration – que l'on peut qualifier d'historique – avec le groupe anglais Tindersticks mené depuis trente ans par Stuart Staples. L'amitié cinéma entre cinéastes et musiciens est presque aussi vieille que le cinéma et a donné des collaborations aussi indispensables et cohérentes que les couples formés par Alfred Hitchcock et Bernard Hermann, David Lynch et Angelo Badalamenti, Joe Hisaishi et Hayao Miyazaki (mais aussi Joe Hisaishi et Takeshi Kitano), Sergio Leone et Ennio Morricone, et on en passe. Mais la particularité de cette paire-ci c'est qu'elle est l'une des rares à comprendre un groupe ou un artiste de pop music – Danny Elfman en cheville éternelle avec Tim Burton, en est un autre exemple moins évident peut-être, le musicien ayant fait ses armes dans le groupe de new wave Oingo Boingo.

Alors certes, les Tindersticks officient à mille lieux esthétiques de la pop telle qu'ont peut l'entendre en mode bubblegum sur les playlists de Monoprix mais quand même. C'est même dans les Inrocks, grands défenseurs à l'époque de l'esthétique pop, que la cinéaste entend pour la première fois parler de la formation de Nottingham. Les recensions des deux premiers albums du groupe (1993 et 1995), sans titre, dont le premier a été élu album de l'année par le tout puissant hebdo britannique Melody Maker, y sont particulièrement enthousiastes, louant notamment le fait que l'univers ténébreux et jazzy du groupe tranche avec le tout venant légèrement bas du front de ce qui est en train de devenir la brit-pop.

Trouble Every Day

Claire Denis se penche sur ces disques et tombe amoureuse d'un titre en particulier, My Sister, simple ritournelle au métallophone et piano qui finit par s'emballer sur laquelle Staples murmure la vie étrange de sa sœur (fictionnelle), une fille qui ne clignait jamais des yeux. Lors d'un passage du groupe au Bataclan, Claire Denis s'y précipite, le scénario de Nénette et Boni sous le bras pour quérir l'autorisation d'utiliser la chanson dans son film. Staples lui oppose un drôle de refus, qui inclut une proposition plus large. Celle de les laisser faire leur travail, qui serait de composer l'intégralité de la BO. L'alchimie est immédiate. Lors de l'enregistrement de la musique à Londres, le groupe convainc même Claire Denis de renoncer à couper une scène tant elle les a inspirés.

À partir de Trouble Every Day, un fonctionnement immuable se met en place : Claire Denis envoie son scénario et le groupe commence à composer avant même que la moindre image ait été tournée. Ce sont au contraire les chansons qui viennent influencer le montage du film, comme sur Trouble Every Day dont la cinéaste a remonté tout le début pour y faire figurer la chanson-titre que Staples avait envisagé comme générique de fin – une chanson sublime qui évoquerait une tempête qui soufflerait au ralenti mais ferait encore plus de dégâts. Cela donne, y compris dans le travail, comme c'est le cas pour White Material, de purs instants de magie.

Vertige

Mieux, Claire Denis avoue dans une interview donnée à la Philharmonie de Paris qu'étant elle-même incapable d'aimer vraiment ses films, les Tindersticks, grâce à leur musique, les lui ont rendus aimables. Sans doute un peu parce que les arts de Denis et Tindersticks semble s'épouser parfaitement dans leur manière d'envisager le trouble et la sensualité qui sont les moteurs de leurs œuvres respectives comme dans une recherche du vertige qui conduit au déséquilibre, un déséquilibre perçu comme une ivresse. Au vrai, si les scores des Tindersticks incluent des chansons en bonne et due forme, elles sont aussi beaucoup composés d'appendice à visée conceptuelle et parfois atonales, de musique d'ambiance qu'on lâcherait sur les images comme on diffuserait une vapeur artificielle pour simuler un brouillard. Mais qui peuvent tout à fait s'écouter indépendamment des images puisque leurs albums sont pleins de ces drôles de berceuses pour insomniaques. Ce ne sera évidemment pas le cas lors de ce ciné-concert très spécial qui verra les Tindersticks jouer en direct sur plus de deux heures de longs extraits des films de la cinéaste.

Tindersticks/Claire Denis
À l'Auditorium le 2 novembre


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Maguy Marin en 2023