Quentin Amalou « Le ciné-concert peut avoir un impact sur le sentiment de légitimité culturelle »

Quentin Amalou est docteur en sociologie de l'université d'Avignon, et a essentiellement travaillé sur les publics de cinémas, musiques et festivals. Il a soutenu sa thèse "Vivre et laisser mourir : Le ciné-concert et ses publics sous le regard des sciences sociales" en 2017. Alors que les ciné-concerts se multiplient à Lyon, et dans des formats toujours plus spectaculaires, le chercheur revient sur la genèse du médium et son évolution.


À la fin 19ᵉ siècle, les premiers films sont parfois accompagnés par des musiciens. Alors pourquoi situer la naissance des ciné-concerts aux années 1980 ?

Les films étaient tous muets à la fin du 19ᵉ siècle. On les accompagnait souvent par de la musique, et on appelait ça du cinéma, tout simplement. Durant les années 1980, on restaure les films muets, et on s'interroge sur comment les montrer au public, susciter une curiosité pour ce patrimoine. C'est là qu'émerge l'idée de faire revivre une expérience du passé, retrouver les modalités de projection des débuts du cinéma. Les ciné-concerts ont rapidement rencontré du succès, mais aussi quelques réactions hostiles, certains et certaines se sont inquiété•es du risque de dénaturer une œuvre en y ajoutant de la musique. 

Comment expliquez-vous ce succès durable ?

La démocratisation du cinéma muet adjoint à une forme d'exploitation cinématographique combine force patrimoniale et expérience nouvelle. Il y a quelque chose de spectaculaire à voir un musicien et un film qui s'harmonisent. On a tellement pensé à cacher les coulisses des œuvres de cinéma pour que la magie opère. Le ciné-concert rappelle qu'un film est un ensemble de choses, et voir les musiciens à l'œuvre agit comme la révélation d'un tour de magie, c'est fascinant.

Au tournant des années 2000, les ciné-concerts sont sortis des salles de cinéma. L'auditorium de Lyon, en partenariat avec l'Institut Lumière, a projeté Charlie Chaplin, Les Temps Modernes dans la salle de résidence de l'orchestre de Lyon. Ils n'ont jamais cessé d'en programmer depuis. Comment l'expliquez-vous ?

Les ciné-concerts séduisent et font venir du public. Cela permet aux orchestres de mettre en musique un film avec des œuvres moins connues, qui n'auraient peut-être pas attiré les foules sans projection. De plus, programmer un ou plusieurs ciné-concerts avec un orchestre national permet de soutenir la saison des orchestres qui est en peine. Ces derniers subissent une crise économique réelle avec l'inflation et la baisse des subventions. 

Quel public se rend aux ciné-concerts ?

C'est très difficile à dire, l'hybridité de la forme du ciné-concert crée un attrait pour des personnes qui n'auraient pas été attirées par un film muet, ou un concert d'orchestre. À partir de deux pratiques, il y a quelque chose qui se crée à l'interstice et qui peut avoir un impact certain sur le sentiment de légitimité culturelle. En revanche, je ne pense pas qu'il existe beaucoup de passionnés absolus des ciné-concerts, comme il y en a pour le cinéma ou la musique classique. Les films muets sont assez fatigants, et demandent beaucoup de concentration.

Depuis 2010, des productions spécialisées dans la projection de grands films à succès, comme le Seigneur des Anneaux, Star Wars, Titanic… ont programmé des ciné-concerts à Lyon avec des orchestres privés jouant la BO du film. Quelle est votre analyse de cette tendance ?

Il ne faut pas perdre de vue le fait que ça dévie du concept premier du ciné-concert. C'est un genre qui avait normalement vocation à faire découvrir une œuvre de façon ludique, ou à créer autour d'œuvres déjà existantes.

Pour ces blockbusters, l'enjeu est de remplir une salle, faire du spectaculaire. Martin Scorcese comparait les films Marvel à des « parcs d'attraction » du cinéma, peut-être qu'on peut transposer cette analyse aux ciné-concerts qui répondent à des logiques économiques plus que créatives. Ça n'empêche pas qu'on peut y ressentir des expériences esthétiques fortes et réelles, mais je pense que c'est important d'apporter quelque chose de plus au spectateur. J'ai vu Metropolis accompagné par un DJ en live et c'était une expérience nouvelle, stimulante. Air a composé une musique pour accompagner la version restaurée du film Le Voyage dans la Lune de Melliès. Dans cette logique, je serais vraiment curieux de voir une réorchestration du Seigneur des Anneaux par exemple.


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Lyon, ville de ciné-concerts