Sidney Lumet : pastorales américaines

Les salles du GRAC mettent l'immense Sidney Lumet à l'honneur en janvier et février avec quatre films, dont une belle redécouverte, le trop longtemps ignoré Daniel.


Petit à petit, Sidney Lumet rejoint le panthéon du Nouvel Hollywood dont il fut longtemps exclu, la faute sans doute à ses débuts précoces à filmer du théâtre pour la télévision puis pour le cinéma — l'indémodable 12 hommes en colère (1957) montre son absolue maîtrise en la matière. Injuste car là où beaucoup de cinéastes admirés — Friedkin, Scorsese, De Palma, Coppola — ont composé tant bien que mal avec les changements du public, Lumet est celui qui s'est le plus longtemps accroché aux idéaux des années 70, à leur vitalité contestataire et à leur foi dans la mise en scène.

Revoir Un après-midi de chien (1975), c'est par exemple faire l'expérience d'un film qui s'empare d'un fait-divers encore frais (un braquage à New-York qui vire à la prise d'otages, emmenée par un homme cherchant à payer l'opération de son petit ami pour changer de genre) et en fait un concentré du cinéma de l'époque : un réalisme en surchauffe épuisant situations, personnages et acteurs (Al Pacino et John Cazale, rien que ça) dans une même débauche d'énergie vouée à l'échec.

Malédictions politiques

Mais les années 80, longtemps regardées comme un moment compliqué de son œuvre, s'avèrent aussi passionnantes. Lumet tente alors de romancer l'histoire contemporaine de l'Amérique en la regardant de différents points dans l'espace et le temps (comme le fera plus tard Philip Roth dans ses romans tardifs). Cela donnera notamment le sublime À bout de course (1989), où un adolescent (la comète River Phoenix) est tiraillé entre  ses désirs d'émancipation et la fidélité à des parents aimés, activistes d'extrême-gauche en cavale. Deux générations, deux époques, mais un seul destin, celui d'une Amérique incapable de panser ses blessures.

Tout cela, Lumet l'avait déjà mis en scène en 1983 dans Daniel. Là aussi, une malédiction politique (la chasse aux sorcières) se transmet des parents aux enfants, mais celle-ci est morbide : le spectre d'une injustice commise dans les années 50 empêche Daniel et sa sœur Susan de vivre en paix, la même paix réclamée dans des images documentaires par la jeunesse des années 70. Les allers-retours du passé au présent qui rythment l'enquête de Daniel trouvent ainsi un écho dans le balancier de la démocratie américaine, tout en dessinant une vision complexe de la judéité entre persécution antisémite et intégration tardive. 

Des Lumet pour vos yeux
Dans les salles du GRAC (grac.asso.fr)
Jusqu'au 29 février


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