Maxence Grugier, « Les arts numériques sont partout, il faut apprendre à les regarder »

Maxence Grugier a longtemps été journaliste spécialisé dans les créations numériques avant d'endosser il y a dix mois le rôle de chargé de projets arts hybrides et cultures numériques au Pôle Pixel de Villeurbanne. Alors que de nombreuses institutions lyonnaises programment de plus en plus de créations employant des outils technologiques, Maxence Grugier a pour mission de les valoriser et d'aider les artistes de la métropole à se procurer et à s'approprier ces dispositifs ultramodernes.


Pour commencer, que comprennent les « arts hybrides et cultures numériques » ?

Maxence Grugier : L'appellation est nébuleuse, ça n'aide pas. Et la réalité derrière ça, c'est que ça englobe un panel très large de pratiques créatives, constamment en mouvement, car chaque innovation technologique génère de nouvelles formes artistiques.

Aujourd'hui la BD, comme le théâtre, la danse, s'emparent des outils numériques, les usent et les détournent sans forcément qu'on en ait conscience à première vue. Dès qu'on utilise une technologie informatique dans le processus créatif d'une œuvre elle peut être catégorisée comme art numérique : des casques de réalité virtuelle, au mapping de la Fête des lumières, en passant par les jeux-vidéos.

Pourquoi était-il nécessaire de coordonner les acteurs et actrices de la création numérique à Lyon?

Maxence Grugier : Le besoin est apparu après la 8ᵉ et dernière édition du festival Mirage, en 2020. La création numérique a perdu une de ses principales vitrines dans la métropole. La question s'est posée de lancer un nouveau festival mais le territoire avait aussi et surtout besoin de mise en réseau de ses acteurs, car la création numérique est encore émergente, et la convergence du numérique avec des disciplines traditionnelles comme la danse ou le théâtre n'est pas encore évidente pour tout le monde.

Les Subsistances, le TNG Scène Nationale de Lyon, l'association AADN, le Planétarium de Vaulx-en-Velin et le Pôle Pixel à Villeurbanne ont créé un collectif pour répondre à ce besoin. Celui-ci s'appelle « Praline » pour « Pratiques Artistiques Lyonnaises d'Innovations Numériques Expérimentales », et a été soutenu par la Métropole de Lyon, la DRAC, la Région, Le ministère de la Culture et le Fonds social européen. Je coordonne ce collectif, un poste qui est pour l'instant unique en France.

Mes missions sont multiples. Par exemple, je mets en relation des acteurs du monde numérique avec des artistes qui sont moins familiers avec les nouvelles technologies. Mais il y a plein d'autres façons d'accompagner les personnes qui souhaitent avoir recours au numérique dans leurs créations. Le coût d'une production hybride est élevé et j'oriente parfois les artistes et collectifs vers des pistes de financement, je relis leurs dossiers. On réfléchit à comment ils pourraient être accueillis en résidence, ou quel genre d'événement peut correspondre à leur projet.

 Je facilite les alchimies et j'aide à l'interconnexion des acteurs de la création numérique, mais je n'invente rien, le territoire a toujours été en pointe sur la création numérique. On peut citer le festival Mirage pendant presque 10 ans, mais aussi des temps forts comme Micro-Mondes au TNG, autour du théâtre immersif, des événements comme Sauve qui peut la vie qui auront lieu aux Subsistances, explorant la relation entre jeux vidéo indépendants et environnement. Il y a encore la programmation innovante de la Biennale de la Danse, ou les Playformances organisées par le collectif Sous Les Néons.

Pendant longtemps on a séparé l'art contemporain des arts numériques, pourquoi ? Est-ce toujours d'actualité d'après vous ?

Ça a pu être vrai, mais aujourd'hui les arts numériques se sont trop rapprochés de l'art contemporain. Des collectifs de VJ (Video Jockey) comme Anti-VJ qui réalisaient du mapping pour Massive Attack ou Tricky, sont maintenant présents dans les galeries d'art contemporain.

Ceux qui rejettent les arts numériques sont les mêmes qui fustigent le rap, ou la musique électronique. A l'instar de ces styles musicaux, les arts numériques sont très punks à la base, nés de projections vidéo brutes dans les free party européennes.

D'un autre côté, la création numérique est aussi née sur internet, comme le Net Art, un style qui n'est toujours pas très considérée aujourd'hui. Des artistes extraordinaires comme Vera Molnár, récemment décédée, en faisait déjà dans les années 60 à Budapest.

Cependant je pense qu'on est à un moment intéressant de l'essor de ce type de créations, des artistes établis commencent vraiment à se prêter au jeu des technologies numériques. Un chorégraphe comme Vincent Dupont avec son spectacle No Reality Now qui était programmé à la Biennale de la Danse en est un parfait exemple : c'est un spectacle de danse au plateau, sur scène donc, avec l'utilisation de casques de réalité virtuelle conçus comme des jumelles de théâtre. Peut-être même que dans 20 ans, on ne parlera plus de créations numériques mais juste de créations.

Comprenez-vous la défiance qu'il peut exister à l'égard des arts numériques ?

Bien sûr, c'est relativement nouveau, c'est mouvant, ça peut faire peur. Et puis surtout, pour être touché par les arts numériques, il faut s'informer d'autre chose que la culture pure et dure, mais aussi du monde et de son évolution.

Les arts numériques sont aussi critiqués par les technophobes qui vont brandir la question de l'impact environnemental par exemple. Mais s'intéresser aux arts numériques ce n'est pas être « pro-tech », bien au contraire. La plupart des artistes du domaine critiquent le numérique dans leurs œuvres, cherchent comment amoindrir leur impact et adjoignent cela à une réflexion sur les questions sociales et politiques actuelles.

Il n'y a pas de lieu dédié aux seuls arts numériques à Lyon, contrairement aux musées, théâtres, salles de concert. Comment s'y familiarise-t-on, comment s'éduque-t-on aux arts numériques ?

On est tout le temps face à de l'art numérique, c'est juste qu'on ne s'en rend pas compte. Il n'est pas couvert médiatiquement, conceptualisé comme peut l'être la musique, la littérature ou la peinture. Quand on y pense, la Fête des Lumières est un événement qui met à l'honneur les arts numériques. À côté de ça, même un QR Code sur un mur peut être considéré comme une performance numérique. On le scanne et on a la surprise de découvrir une œuvre !

L'un de nos objectifs avec Praline est aussi de mieux communiquer auprès du public sur ce qui se fait en arts numériques dans la métropole de Lyon, pour montrer que la création est extrêmement riche sur le territoire, et que sûrement, tout le monde a déjà vu, écouté, senti une œuvre numérique sans forcément s'être déjà mis un casque de réalité virtuelle sur la tête.


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