Ozu : savoir faire une fin


C'est la dernière image du cinéma de Yasujiro Ozu : Hirayama, veuf, vient de voir sa fille unique se marier et quitter le domicile familial. Seul avec un fils pour lequel il n'éprouve guère de considération, ne lui restent plus que les soirées alcoolisées avec ses collègues et des souvenirs lancinants, dont celui d'une guerre perdue où il a été soldat. Cravate de travers, il titube dans sa cuisine pour se servir un peu de thé avant d'aller se coucher. Ozu pratique alors un de ses fameux surcadrages où les lignes de la maison réduisent le personnage à n'être presque qu'un élément de décor, fondu dans cet environnement qu'il se prépare à quitter. D'ailleurs, dans les plans précédents, le cinéaste avait une dernière fois filmé les pièces vides, images silencieuses qui disaient à la fois l'absence et le temps qui passe. 

Le Goût du saké (1962) regarde le conflit entre la modernité du Japon et ceux qui en incarnent la mémoire vivante, grandeur et archaïsmes conjugués, comme une défaite programmée de ces derniers ; mais sa mélancolie n'est ni aigre, ni revancharde et Hirayama est, comme lui dit la femme d'un de ses collègues, « un père modèle », soucieux de l'avenir de ses enfants au point de se sacrifier lui-même. Ozu lui emboîte le pas : les couleurs sublimes du film donnent à l'époque une luxuriance élégiaque. Suprême élégance : ne pas confondre son propre crépuscule avec celui du monde ou du cinéma pour préférer en faire une célébration du présent et de la beauté.

Le Goût du Saké (dans le cadre de la rétrospective Ozu)
À l'Institut Lumière
Dimanche 14 janvier à 16h15 et vendredi 19 janvier à 17h


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