Sexe, drogue et grand-guignol

Le très acclamé Munstrum Théâtre débarque à Lyon avec "40° sous zéro", premier des trois spectacles qu'il présentera ces prochains mois aux Célestins, où il est compagnie associée. Soit une plongée dans l'univers de Copi, auteur subversif de la contre-culture gay française. Et un réjouissant théâtre de l'excès.


Un rapport bucco-génital prodigué par un chien, des excréments recouverts de paillettes, du sang qui gicle par litres… Il y a au moins deux manières d'aborder le théâtre de Copi, surnom de cet auteur et dessinateur argentin francophone qui a officié en France dans les années 1960, 1970 et 1980 (avant de mourir des suites du sida en 1987). D'une part, on peut considérer que ce monde interlope où les genres sont ouvertement fluides, le sexe omniprésent et la mort jamais définitive (les lois de la nature sont trop conformistes) doit être traité avec le plus grand sérieux pour en accentuer son aspect subversif. Ou bien plonger à corps perdu dans les images qu'il convoque. Au vu de son joyeusement excessif 40° sous zéro, le Munstrum Théâtre des comédiens Louis Arene et Lionel Lingelser a clairement choisi la deuxième option.

Le duo, adepte du « théâtre de la cruauté et de l'étrange », a réuni en un spectacle deux pièces de Copi : L'Homosexuel ou la difficulté de s'exprimer et Les Quatre Jumelles. Soit un trio composé d'une figure maternelle possessive, d'une prof de piano obsessionnelle et d'une enfant autant perdue que manipulatrice ; puis deux couples de jumelles droguées et violentes bien décidées à avoir le dernier mot. Deux partitions en huis clos qui sont de véritables machines à jouer pour les sept interprètes (dont Louis Arene et Lionel Lingelser eux-mêmes, chacun dans une des parties), investis jusqu'à la moindre partie de leur corps masqué.

Théâtre des bas-fonds aux Célestins

Dans ses textes, Copi s'intéressait aux bas-fonds ; aux marginaux qui devenaient, sous sa plume, des êtres flamboyants, démesurés, cruels... Une vision que le Munstrum embrasse goulument, qu'importe si depuis le début des années 1970 (date de création des deux pièces), l'époque n'est plus la même. Si la façon d'envoyer balader les conventions de Copi, le militant au Front homosexuel d'action révolutionnaire, ne correspond plus aux codes actuels – Copi se moquait sans cesse de ses semblables, aujourd'hui regroupés sous le sigle inclusif LGBTQIA+. Le théâtre de Copi n'est pas un théâtre à thèse, un théâtre identitaire, mais un théâtre du plaisir, de la transgression, de l'anormal… Et ça, le Munstrum l'a parfaitement compris.

De ces deux pièces à ambiance glacée – la première est censée se passer en Sibérie, là où il fait « 40° sous zéro » comme le dit l'un des personnages (d'où le titre du spectacle), la deuxième en Alaska –, le metteur en scène Louis Arene a sorti une sorte de livre d'images trash et kitsch où, des costumes de Christian Lacroix à la scénographie grandiosement froide qui permet aux couleurs des personnages de ressortir jusqu'aux reprises de chansons pop qui encadrent les séquences, le gore s'entrecroise avec le sublime sans que jamais l'un ne cannibalise l'autre. Tel ce tableau final où les corps se disloquent pour mieux renaître on ne peut plus vivants.

40° sous zéro
Aux Célestins du mercredi 7 au samedi 10 février


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La Zone d’intérêt, ou deux présents juxtaposés dans un espace impossible