May December

Une comédienne ambitieuse revient sur les lieux d'un fait-divers pour s'inspirer de son modèle, une quadragénaire ayant épousé son amant de treize ans. Un film féroce où Todd Haynes tend avec malice un miroir aux hypocrisies du jour.


La scène fondatrice de May December se déroule au fond d'une animalerie. C'est là où une employée quadragénaire a consommé sa liaison adultère avec un jeune garçon de treize ans. Après le procès et la prison, le couple a tenu, s'est marié et a eu trois enfants. 23 ans plus tard (en 2015, avant Trump), une comédienne, Elizabeth (Natalie Portman), débarque dans leur petite maison de Savannah pour étudier Gracie (Julianne Moore) qu'elle va incarner dans un film indépendant.

Après une de ses nombreuses journées de recherche, elle rentre dans son logement et laisse tourner le DVD d'un téléfilm à l'esthétique outrageusement 90's. Cette histoire et cette scène de l'animalerie ont donc déjà été filmées, dans une sorte de thriller érotique sulfureux qui les réduit à leur cliché : la proie facile, la prédatrice langoureuse et un serpent pour la métaphore. 

Imiter les faux-semblants

Elizabeth veut aller au-delà de cette facilité : elle ne jure que par la vérité et la profondeur. Dans une des nombreuses scènes où l'actrice et son modèle se retrouvent face caméra, l'une tentant d'imiter l'autre, ce sont pourtant deux surfaces artificielles qui se confondent.

Avec un mordant qu'on ne lui soupçonnait pas, Todd Haynes entremêle ainsi plusieurs types de faux-semblants : celui du jeu et celui des apparences sociales. Si la famille Atherton-Yoo a l'air d'avoir trouvé son équilibre, il ne faut pas grand chose pour en montrer les failles : l'obsession de Grace pour le corps de ses filles et la mélancolie de Joe (Charles Melton) traînant à la maison en envoyant des textos à une potentielle maîtresse…

Nimbées d'un étrange halo diffusant une lumière faussement naturelle et régulièrement tenues à distance par la caméra de ses sujets, les images, comme souvent chez Haynes, servent à voiler une vérité que le spectateur prend plaisir à ne pas déchiffrer. Il installe ainsi des situations où toutes les hypocrisies contemporaines se télescopent et où, géniale intuition, on finit toujours par faire corps avec le cliché que l'on entendait dénoncer.

May December
De Todd Haynes (EU, 1h57) avec Julianne Moore, Nathalie Portman, Charles Melton…
Sortie le 24 janvier


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