Un hôpital sur les ruines d'un cimetière, only Bron

Il y a quelque chose de fascinant dans le Groupement Hospitalier Est (Neuro, Cardio, HFME), qu'on ne remarque pas à première vue, à moins qu'on ne chasse les fantômes pour gagner sa vie. Il a été construit sur l'ancien cimetière d'une autre institution de santé. Pour l'escapade de ce numéro, remontons le temps aux racines du spleen lyonnais : rendez-vous au Vinatier. 


Construit sur le domaine d'un ancien château, dont les ruines sont aujourd'hui broutées par des chèvres (ceci n'est pas une métaphore), le Vinatier a accueilli des pensionnaires venus de tout le département depuis 1876, suite à la promulgation de la Loi des aliénés  en 1838.

Une loi bien pratique, qui a permis les "placements d'office" par une autorité ou bien les "placements volontaires", ce qui signifie ironiquement "à la demande de quelqu'un d'autre" (les deux sans consentement, la notion n'entrera dans la loi qu'en 1990). Et on a réquisitionné les premiers pensionnaires pour construire le mur d'enceinte qui entretiendra leur autarcie. 

Le Vinatier, berceau du spleen lyonnais et brondillant, devient alors une petite ville dans la ville : au XIXe siècle, les institutions de santé psychiatrique sont pensées par les aliénistes pour fonctionner en autosuffisance et ainsi « alléger la charge de la collectivité ». À l'origine, le personnel habite sur place. Leurs maisons sont toujours là : même si leurs portails sont parfois rouillés et que les murets en briquettes rouges sont envahis de plantes grimpantes.

Le Vinatier, berceau du spleen

Elles sont les premières que l'on aperçoit, le long de l'allée qui permet de pénétrer dans le parc. Au bout de celle-ci, une chapelle à la jolie toiture en tuiles vernissées : à l'époque, on y célèbre les messes, les baptêmes et… les enterrements. Car oui, il y a aussi un cimetière sur le domaine du Vinatier, dans lequel on enterre les malades, ainsi que les membres du personnel et leur famille. 

En la matière, le Vinatier n'a pas été épargné, surtout pendant la Seconde Guerre Mondiale. Comme dans beaucoup d'autres établissements de santé psychiatrique, les pensionnaires ont été laissés à l'abandon. Enfin, les autorités ont rationné la nourriture des pensionnaires d'établissements psychiatriques à l'équivalent de 1000 à 1200 calories par jour et par personne, ce qui revient au même : beaucoup sont morts de faim. Le sujet est encore tabou, mais on dénombrerait 2000 morts entre 1940 et 1944. L'établissement comptait 2900 pensionnaires au début de la guerre. 

Un domaine pourtant coquet

Vous pouvez l'imaginer si vous vous promenez dans son parc : comme tout asile modèle, le Vinatier disposait d'un coquet domaine agricole, avec des terrains cultivables et une ferme aujourd'hui reconvertie en (super) centre culturel. Malheureusement, dans les années 30, le domaine se spécialise dans l'élevage de porcs et la production de lait : on a dévolu les champs à la culture de céréales fourragères pour moderniser et rationnaliser l'activité agricole. 48 hectares de trèfle, de luzerne, d'avoine et de prairies naturelles… ça en aurait fait, des légumes.  

Dans les années 60, lorsqu'on cherche un terrain pour construire un hôpital neurologique, on propose de céder le cimetière. Les dépouilles sont alors déterrées et transférées à Bron. Quelques clichés d'archives subsistent de cette époque, pris au début du XXè siècle par Hippolyte Laurent, qui fût infirmer (mais aussi agent mortuaire) au Vinatier. Les plaques commémoratives et les compositions florales  y envahissent les tombes en fer forgé comme de la glycine.

Légende : Une enfant et des outils de jardinage : que font-ils là ?
Crédit : Fonds Hippolyte Laurent – Archives du département du Rhône et de la métropole de Lyon cote 36FI_139 
Une enfant et des outils de jardinage : que font-ils là ?

Fonds Hippolyte Laurent – Archives du département du Rhône et de la métropole de Lyon cote 36FI_437

Du cœur au cerveau (avec détour par le cimetière)

Collé au gigantesque domaine du Vinatier, le Groupement Hospitalier Est est aujourd'hui traversé par trois arrêts de bus, pile à l'entrée de Bron. Sur ses terres, l'hôpital Neuro est inauguré en 1962 : il sert à regrouper les activités de différents services neurologiques lyonnais, venus de l'Antiquaille et de Grange Blanche. L'activité, à la croisée de plusieurs spécialités médicales de pointe, se structure : son architecte, Alain Chomel, le qualifie lui-même « d'hôpital de transition » dans une brochure d'époque.

La médecine a mis des décennies à pouvoir différencier les affections neurologiques et psychiatriques et la coïncidence de cadastre est inouïe quand on y réfléchit : l'hôpital neurologique est littéralement bâti sur le cimetière d'une des plus grandes institutions de santé mentale de la région.

Quelques années plus tard, on construit l'hôpital Cardio sur le même terrain. Pour les relier, on imagine un tunnel de béton moulé et de verre, dont certains pans extérieurs, que l'on découvre au hasard d'une place de parking, sont habillés par une fresque de Morog, sculpteur amoureux du béton. A-t-on créé ce couloir de liaison seulement pour faciliter les transferts entre les deux hôpitaux ? Doit-on y déambuler en pensant aux liens entre nos cœurs et nos cerveaux ? L'agencement des lieux est ici, encore une fois, pour le moins facétieux. 

Prolonger la balade en vrai ou en pensée

Sources : L'Hécatombe des fous d'Isabelle von Bueltzingsloewen, éditions Flammarion. Attention, ça brasse.
Hopital cardio-vasculaire et pneumologique, hôpital neurologique, brochure éditée par les HCL, que vous pouvez chiner aux Archives municipales (cote archives : HA/1071)

Crédit photo image de couverture : Fonds La Ferme du Vinatier


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