Pourquoi avoir choisi un tableau de Monet ?

L'œuvre « Le Printemps » de Claude Monet a été aspergée de soupe de potiron périmée ce samedi 10 février au musée des Beaux-arts de Lyon. Un mode d'action qui se répète et qui a toujours la même cible : les peintures mythiques.


L'événement a fait grand bruit, dans le sillage d'une action similaire, cette fois-ci ayant eu pour cible la Joconde au Louvre il y a deux semaines. Un acte revendiqué par la campagne Riposte alimentaire, précédemment connue sous le nom de Dernière rénovation.

C'est aux alentours de 15h30 que deux jeunes militantes ont aspergé de soupe la vitre protégeant l'œuvre du peintre impressionniste, au musée des Beaux-arts de Lyon. Elles se sont par la suite positionnées devant le tableau, main droite levée, et ont déclaré : « Ce printemps sera le seul qui nous restera si nous ne réagissons pas. Que vont peindre nos futurs artistes ? À quoi rêverons-nous s'il n'y a plus de printemps ? ». Une vidéo a été postée sur X par le collectif, retraçant l'action.

Le groupe que les deux militantes représentent s'est donné pour mission d'alerter ainsi sur la crise climatique et sociale à venir. Elles et ils exigent — par exemple — l'intégration de l'alimentation dans le régime général de la sécurité sociale.

Les forces de l'ordre ont appréhendé les deux militantes rapidement. Le musée et la Ville de Lyon ont porté plainte pour vandalisme. L'institution a retiré le tableau qui est encore aujourd'hui en cours de constat. « Nous ne formulerons pas d'hypothèse » s'est gardé le musée des Beaux-Arts.

L'adjointe à la culture de la Ville de Lyon, Nathalie Perrin-Gilbert a de son côté déclaré à BFM Lyon qu'a priori, la peinture n'était pas endommagée, en revanche, le cadre aurait reçu des éclaboussures : « La vitre n'est pas étanche à l'instar de [celle de] la Joconde ». L'élue qui a condamné l'action, à l'instar du maire de Lyon Grégory Doucet, n'a pas répondu aux sollicitations du Petit Bulletin à ce sujet.

« On aime l'art, on n'a pas envie de l'endommager »

Sasha a 24 ans, titulaire d'un master, elle a participé à l'action de ce samedi : « On a longtemps essayé par des moyens légaux, des pétitions, des manifestations de faire valoir nos revendications. On a changé de méthode car on ne nous écoutait pas. »

La jeune femme a insisté sur l'urgence alimentaire, et a cité de nombreuses statistiques : le suicide d'un paysan par jour, les 16 % des Français qui ne mangent pas à leur faim. Une priorité qui ne l'empêche pas, selon elle, de respecter la peinture de maître : « On aime l'art, on n'a pas envie de l'endommager. On a d'ailleurs choisi un tableau protégé. Nous sommes contraints de jouer le jeu des médias, de choquer pour nous faire entendre et visibiliser une cause plus importante. »

Un profil et une stratégie qui colle avec l'analyse d'Alessio Motta, enseignant-chercheur en sciences sociales, techniques d'enquêtes et analyse de données, rattaché au Cessp (regroupant CNRS, Paris 1 et EHESS). « Les militantes et militants de ces organisations sont, le plus souvent, issus des classes moyennes et supérieures. Elles et ils choisissent sciemment d'aller asperger de soupe des œuvres dont ils connaissent la valeur symbolique et historique. Ils ne vont d'ailleurs pas aller détruire des bibliothèques dans des quartiers pauvres. »


Alessio Motta est aussi docteur en science politique de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et fondateur du site Mobilisations.org. Il a notamment écrit Sociologie des déclenchements d'actions protestataires aux éditions Du Croquant, l'Antimanuel de socio chez Bréal et Les logiques de la révolte (Editions Matériologiques, 2024).


Au 19ᵉ siècle, on visait déjà les lieux d'arts

Le sociologue ne considère pas ce mode d'action comme inédit. Il évoque évidemment le jet de soupe sur le tableau de la Joconde, les actions de Just Stop Oil en Angleterre, mais aussi des exemples beaucoup plus anciens de l'histoire de France : « Charles Tilly a mis en avant un basculement des répertoires d'action au 19ᵉ siècle. Le répertoire d'ancien régime comptait de nombreux modes d'action contestataires qui visaient principalement le pouvoir légitime. Les gens s'attaquaient à des cérémonies comme des mariages de notables, dégradaient des lieux d'art et, à certains moments de l'histoire, des églises. »

Un répertoire qui a peu à peu laissé place au "répertoire moderne ", avec des modes d'actions plus institutionnalisés, organisés, notamment par des partis politiques, des associations ou des syndicats. On peut penser aux manifestations, aux grèves, aux pétitions. Des modes d'action qui ne fonctionnent plus d'après le sociologue, qui souligne un « virage raté » du répertoire d'action moderne : « Des associations et collectifs ont pris conscience de l'enfermement dans ces modes d'action, qui, depuis quelques années, n'obtiennent plus gain de cause. Ils sont donc repartis sur des formes d'actions plus radicales. »

Des méthodes de lutte « en tâtonnement »

Il rappelle les destructions spontanées, comme le saccage de l'Arc de triomphe par les Gilets jaunes en 2020, mais aussi celles, plus organisées, qu'on a pu voir dans les grands musées français. Il évoque un tâtonnement, une « phase de test » en matière de méthodes de lutte : « Ces mouvements [Riposte alimentaire, Dernière rénovation... ndlr] exigent des changements difficiles à mettre en œuvre. Ils essaient, par une nuée d'actions multiples (sabotages, actes de désobéissance civile) de réveiller quelque chose. Cela en ayant conscience qu'ils s'attirent les foudres du grand public et qu'isolément, ces actions ne peuvent contribuer au bouleversement du système auquel ils aspirent. »


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