Nadège Prugnard, une artiste à la tête des Ateliers Frappaz

Depuis janvier 2024, Nadège Prugnard a pris la direction des Ateliers Frappaz, le Centre National des Arts de la Rue et de l'Espace Public (CNAREP) de Villeurbanne. Elle a succédé à Patrice Papelard, après 20 ans d'exercice. Nommée par l'ex-ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, elle est la première artiste à être à la tête d'un CNAREP.


Qu'est-ce qui vous a décidé à postuler pour la direction des Ateliers Frappaz, après avoir été autrice et metteuse en scène pendant plusieurs années ?

Tous les centres nationaux sont dirigés par des gestionnaires ou des technocrates, sans aucun artiste à leur tête. Ils sont, selon moi, trop éloignés des problématiques artistiques alors qu'il est urgent de redonner vie aux arts de la rue. Ma compagnie Magma Performing ainsi que moi-même sommes désormais au service de cette valorisation. 

Les Ateliers Frappaz, fondés en 2002 par Jean-Paul Bret, à l'époque maire de Villeurbanne, est un espace dédié à la création artistique. Créé en marge du festival Les Invites de Villeurbanne, ces derniers favorisent le dialogue entre les artistes et les habitants. En 2013, l'institution a reçu le label Centre national des arts de la tue et de l'espace public, une reconnaissance qui a permis une expansion de leur capacité d'accueil. Aujourd'hui, les Ateliers Frappaz sont un lieu de résidence pour les compagnies, offrant des salles de répétition et des ateliers pour la construction de décors et de machineries de spectacles. 

Qu'est-ce qui va changer avec cette nomination à la tête des Ateliers Frappaz ?

Je ne souhaite pas faire table rase de ce qui a déjà été accompli, mais donner un nouvel élan, notamment au rayonnement international de l'institution. Mon prédécesseur, Patrice Papelard, nous a ouverts sur l'Afrique subsaharienne. Je veux pérenniser ces liens en instaurant une réciprocité. Nous prévoyons d'accueillir trois autrices béninoises, Cécile Avougnlankou, Nathalie Hounvo Yekpe, Gandebagni et Mireille Assiba afin qu'elles déploient leurs œuvres ici, dans l'espace public. Je souhaite aussi développer des liens avec l'Europe, notamment le Portugal, où les arts de la rue commencent à se développer.

Quelle dynamique souhaitez-vous instaurer avec les institutions culturelles locales ?

J'ai été ravie de rencontrer ici une nouvelle génération de dirigeantes et dirigeants désireux(ses) d'œuvrer ensemble et de décloisonner les pratiques. Nous projetons de réaliser plusieurs projets conjointement avec le TNP, en salles comme dans l'espace public : C'est historique pour les Ateliers Frappaz. Nous travaillerons également avec le Théâtre de la Renaissance à Lyon, le CCO La Rayonne, le Théâtre de l'Iris ou encore l'association Si/si, les femmes existent.

Vous avez manifesté à plusieurs reprises vos revendications féministes, quel regard portez-vous sur l'invisibilisation des femmes dans le milieu artistique ? 

En France, seulement 20 % des femmes sont co-produites dans les centres nationaux. C'est délirant. Cette invisibilisation permanente dépasse la simple question de la parité homme-femme, qui est pour moi un épiphénomène. En regardant ce qui se passe dans le monde, on assiste à une régression des droits des femmes, que ce soit en Afghanistan, en Iran, au Liban ou en Espagne. Le mouvement #MeToo a certes permis une libération de la parole, mais pour l'instant, il n'y a pas eu d'actions concrètes suffisamment fortes pour inverser cette tendance. Il est donc essentiel de continuer à lutter pour l'égalité des sexes et la reconnaissance des droits des femmes dans tous les domaines, y compris les arts.

Comment envisagez-vous le rôle des Ateliers Frappaz dans la formation et la transmission des savoirs aux artistes ?

Notre devoir de transmission est crucial. Les compagnies artistiques historiques prennent leur retraite, laissant place à une nouvelle génération d'artistes qui se tournent vers l'art de la rue, car ils et elles peinent à tourner. Ces jeunes artistes, bien qu'innovants et passionnés, ne sont pas entourés de dramaturges. Nous proposerons à ces derniers des ateliers d'écriture avec des auteurs et autrices qui viennent du théâtre.

Plus largement, diverses formations et ateliers leur sont proposés. On peut citer celles financées par l'AFDAS qui s'adressent aux professionnels et offrent des formations dans des domaines tels que les arts de la rue, l'écriture, la performance, la déambulation et les effets pyrotechniques. 

Il existe aussi des formations spécifiques pour les élèves en formation professionnelle. Dans ce cadre, j'aimerais mettre en place une collaboration entre les centres d'arts dramatiques et les écoles d'arts de la rue. L'objectif étant de favoriser la collaboration et le décloisonnement entre ces écoles qui ont des approches et des enseignements différents. Enfin, des ateliers spécifiques seront ouverts à destination des amateurs, qu'ils soient adultes, adolescents ou enfants.

Le festival Les Invites de Villeurbanne est de retour après trois ans d'absence, qu'attendre de cette nouvelle édition ?

La cartographie est encore compliquée en raison des travaux en cours à Villeurbanne. Cependant, nous sommes déterminés à faire vivre la magie des arts de la rue en investissant réellement cette dernière. Il y aura la tenue de débats dans l'espace public — les bars, les places — Avec des prises de paroles vivantes où tout le monde pourra participer.   

Un des temps forts sera la performance de Bertrand de Roffigniac dans une création d'Eugène Durif, inspirée de “Woyzeck” de Georg Büchner et mise en scène par Karelle Prugnaud. Une représentation qui impliquera une installation monumentale avec une grue et une cabine téléphonique remplie d'eau. 

Le festival accueillera également Christian Olivier, le chanteur des Têtes Raides, pour un concert. Jean-Luc Raharimanana, romancier et poète malgache, ainsi que la slameuse et performeuse Yas.


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